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LIVRE PREMIER.

de Sales. Dans sa Lettre à M. Guillebert sur le Sacerdoce, il cite de ce saint un mot très-énergique sur la rareté des bons directeurs des âmes parmi les prêtres, à peine un sur dix mille :


« Il faut, ajoute M. de Saint-Cyran, que l’Esprit de Dieu l’ait conduit en cela, comme en ce qu’il a dit de la nécessité de la Contrition pour le sacrement de Pénitence, contre le sentiment contraire de son siècle : car il est certain qu’il n’avoit pas puisé toutes les connoissances qu’il avoit dans la lecture des livres qui contiennent la Tradition, ni dans la pratique de son siècle. Mais il a été de ces Éveques singuliers qui, ayant été appelés par la plus excellente voie, ont mérité de puiser dans la source même les lumières et la connoissance de la vérité dont ils avoient besoin pour conduire les âmes : en sorte qu’on ne pourroit leur imputer aucune ignorance, quand même ils auroient manqué de quelque connoissance nécessaire ; parce que Dieu les ayant établis malgré eux dans leurs charges comme des gens d’une innocence et d’une vertu rare, tout ce qu’ils y fesoient ensuite pour le bien des âmes étoit bien fait, avoué de Dieu et approuvé des hommes[1]. »


D’ailleurs, avec le sévère et très-peu littéraire Saint-Cyran, la fleur théologique est passée, ou plutôt elle n’est jamais venue : attendons-nous aux épines et aux broussailles. Rien de moelleux, mais les nerfs mêmes en ce qu’ils ont souvent de plus mêlé et d’inextricable. Saint-Cyran peut être dit, pour le style, une espèce de Ronsard de la spiritualité : il a été raillé par Bouhours, peu apprécié de Bossuet et même de Nicole. Mais, au prix de quelque attention, on découvre en lui beaucoup de profondeur, de discernement interne, de pénétrante et haute certitude, beaucoup de lumière sans rayons, et de charité. Lucere et ardere perfectum est, a

  1. Tome I, p. 56, des Lettres chrétiennes et spirituelles de messire Jean du Verger de Hauranne…, qui n’ont point encore été imprimées, 1744, 2 petits vol. in-.12.