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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

propre à ceux de Port-Royal entre tous. Cette qualité, cette vertu manque tellement de nos jours aux plus grands talents, à ceux même qui en paraîtraient le plus dignes, qu’il devient précieux de l’étudier, comme dans son principe, chez les maîtres. C’est, sans doute, l’admiration et la préoccupation pour ce notable trait de caractère, qui fait dire habituellement à l’un des hommes qui en ont gardé quelque chose aujourd’hui, à un homme qui a été comme le Despréaux philosophique de notre âge, et dont la parole agréablement sentencieuse a volontiers la forme et tant soit peu le crédit d’un oracle, à M. Royer-Collard, — c’est ce qui lui fait dire : «Qui ne connaît pas Port-Royal, ne connaît pas l’humanité !»[1]. Une autre vertu, jointe chez Messieurs de Port-Royal à celle d’autorité, et qui en est presque l’opposé, qui y apporte du moins l’essentiel correctif, est une certaine modération bien qu’avec l’austérité, une modération rigoureuse de tous les désirs, de tous les horizons, quelque chose qu’il peut être infiniment utile d’envisager, de rappeler, dans un siècle qui fait du contraire une pratique turbulente et une apothéose insensée. Dans un pays qui a heureusement conservé les pratiques modestes et les horizons calmes, il nous sera plus doux de faire l’étude et de trouver souvent l’accord. Nous serons moins gêné aussi pour convenir de quelques points d’excès dans les restrictions, de quelques violences et duretés humaines mêlées à ces cœurs d’ailleurs tout circoncis. Autour de cette affaire de Port-Royal, où la contestation eut sans cesse tant de part, il serait difficile qu’il en eût été autrement. On a spirituellement dit (c’est madame Necker, je crois)

  1. C’est parlant à moi-même que M. Royer-Collard a dit ce mot, qui, depuis que je l’ai noté ici, a été cité et répété souvent.