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PORT-ROYAL.

écrits port-royalistes, cette conversion paraîtrait beaucoup plus sérieuse qu’elle ne le fut jamais : la princesse avait pris une chambre dans les dehors de Port-Royal ; elle y allait causer de longues heures au parloir avec les religieuses, avec les mères Angélique et Agnès, avec la sœur Anne-Eugénie ; pour s’édifier, elle faisait violence à leur silence ; elle finit par obtenir l’entrée. Quand on parlait de la guerre et des dangers d’une invasion, elle leur disait que, si les Allemands venaient, elle les emmènerait toutes dans sa principauté de Bretagne. C’est ainsi que plus tard Marie de Gonzague, devenue reine, leur offrait la Pologne dans leurs persécutions. Le pis est qu’on a sur la princesse de Guemené, non-seulement la suite de sa vie, mais son côté le plus secret à cet instant même de sa conversion. Retz, dès le début de ses Mémoires, nous dit : « Le Diable avoit apparu justement quinze jours avant cette aventure à madame la princesse de Guemené, et il lui paroissoit souvent, évoqué par les conjurations de M. d’Andilly, qui le forçoit, je crois, de faire peur à la dévote, de laquelle il étoit encore plus amoureux que moi, mais en Dieu, purement et spirituellement[1]. J’évoquai de mon côté un Démon qui lui apparut sous une forme plus bénigne et plus agréable : je la retirai au bout de six semaines de Port-Royal, où elle faisoit de temps en temps des escapades plutôt que des retraites[2].» On sait, à n’en

  1. Il n’y a qu’une voix sur M. d’Andilly et ses vivacités platoniques ; l’abbé Arnauld, au début de ses agréables Mémoires, nous dit de son père dans une page qu’on pourrait croire encore plus épigrammatique que filiale : «Son naturel le portoit à aimer, et, l’Amour nous étant si particulièrement recommandé par la Loi nouvelle, il se laissoit aller à une passion qui n’avoit rien en lui de ce feu impur qui nous la doit faire craindre.»
  2. En regard de ces lestes propos, on peut lire dans le Nécrologe de Port Royal, à l’article de la princesse : «…Le monde lui plaisoit et elle plaisoit au monde. Ses avantages naturels, sa