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PORT-ROYAL.

M. Le Maître, esprit ardent, vigoureux, passionné et appliqué, était donc dans ce train de succès, d’applaudissement flatteur, et, grâce à la faveur toute particulière de M. le Chancelier, il courait un champ d’avenir illimité, si bien (pour me servir d’une des expressions glorieuses dont il se peint à merveille) que sa conversion, en l’état où il se voyait, lui paraissait aussi difficile que celle d'un roi qui renonceroit à son royaume. Un de ses admirateurs, transporté, lui disait, au sortir d’une audience, qu’une telle gloire étoit préférable à celle de M. le Cardinal, parce qu’elle semblait à tous l’entière récompense d’un juste mérite, tandis que l’autre attirait souvent la haine et l’envie. S’il est jamais vrai de dire de la vanité, selon le mot de M. de Saint-Cyran, que son humeur est de se nourrir de l’air qui se prend en public, nul assurément ne humait de cet air à plus large poitrine que M. Le Maître en sa pompeuse carrière ; il avait vingt-neuf ans : c’est alors pourtant qu’un jour il se sentit soudainement touché.

Le vent de Dieu ne fit que passer, et en lui tous les cèdres du Liban tombèrent.

Madame d’Andilly, épouse de celui qu’on connaît déjà si bien, fut prise d’une maladie dont elle mourut (août 1637). M. de Saint-Cyran la visitait souvent et


    gres : bientôt M. Singlin et M. de Saint-Cyran souffleront sur ces gracieuses bluettes, et les lettres de la mère Agnès n’en offriront presque plus. Il lui restera pourtant jusqu’au bout bien assez de cette charmante subtilité tendre, égayée, et affectueusement cajolante, si j’ose dire, en dévotion, pour faire comprendre à quel point ce commerce délicat et plein de délicieux replis dut agréer aux personnes comme madame de Sablé, au moment où elle tourna à la coquetterie pieuse. La lecture des lettres de la mère Agnès m’a souvent rappelé ce mot du théosophe Saint-Martin : «Je n’ai jamais trouvé que Dieu qui ait de l’esprit.»