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LIVRE DEUXIÈME.

dispersion des solitaires (1638) qui suivit l’emprisonnement de M. de Saint-Cyran, M. Le Maître avait vu à la Ferté-Milon de saintes dames qui désiraient se rattacher à la solitude de Port-Royal. Quand M. de Saint-Cyran le sut, connaissant cette nature emportée, il jugea à propos de lui défendre tout entretien pareil, même avec les plus saintes personnes du sexe, alléguant que s’il est recommandé en général : Cum feminis sermo paucus et durus, aux solitaires il fallait dire, nullus. Là-dessus M. Le Maître, obéissant à l’instant, mais extrême dans son obéissance, résolut non seulement de ne plus parler jamais à aucune femme, mais, en règle plus générale, de ne plus parler à personne : ce que M. de Saint-Cyran fut aussitôt obligé de rabattre, jugeant ce second mouvement plus imprudent que le premier. Ainsi en toutes choses : cette ardente nature, même convertie, même sous l’ombre du cloître, était restée un continuel et saint orage. Une de ses plus fortes luttes et de ses plus touchantes épreuves fut quand M. de Saci, son frère cadet, étant devenu prêtre et confesseur, il s’agit pour lui, le glorieux aîné, de se ranger comme pénitent sous cette direction paternelle. Il avait passé déjà de M. de Saint-Cyran à M. Singlin ; celui-ci lui avait donné ensuite, ainsi qu’aux solitaires, M. Manguelen qu’il avait accepté sans murmure : mais M. de Saci, son puîné ! et d’un caractère si différent du sien, aussi flegmatique, aussi glacé en apparence et compassé que lui bouillant et exubérant ! non, si fort qu’il le respectât, il ne pouvait se résoudre à l’accepter comme père spirituel. M. Singlin parla haut, et, Dieu aidant, cette grande répugnance soudainement tomba et fit place à un attrait. M. Le Maître vaincu choisit dans tout saint Chrysostome de quoi former un petit écrit qu’il intitula : Le Portrait de l’amitié chrétienne et spirituelle, et l’envoya à M. de Saci avec six vers de sa façon, pour lui dire agréa-