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PORT-ROYAL.

mus…. Nous tous qui participons au même pain et au même calice…,» ce verset parut sur l’heure à tous d’une signification divine, et nous paraîtra à nous-même d’une application touchante. — Durant les années les plus étroites de la persécution, Port-Royal avait eu ses incidents hardis et comme ses aventures de sainteté. M. de Sainte-Marthe, confesseur de cette maison, sautait la nuit par-dessus les murs pour aller porter la communion aux religieuses malades, et cela de l’avis de l’évêque d’Aleth ; en sorte, nous dit Racine, qu’il n’en est pas mort une sans les sacrements.[1]. Ce même M. de Sainte-Marthe, le plus doux et le moins audacieux des hommes, partait souvent le soir de Paris, ou de la maison qu’il habitait près de Gif, et arrivait, le long des murailles du monastère, à quelque endroit convenu d’avance et assez éloigné des gardes : là, il montait sur un arbre assez près du mur, au pied duquel, en dedans, étaient venues les religieuses du côté des jardins, et, du haut de cet arbre, il leur faisait de petits discours pour les consoler et les fortifier. C’était pendant l’hiver. On ne se séparait qu’après avoir fixé l’heure du prochain rendez-vous pareil. Voilà presque du scabreux, ce me semble, voilà les balcons nocturnes de Port-Royal. — Dans la vie des personnages d’alentour, de ces nobles dames qui se dérobaient au monde pour se rattacher, par Port-Royal, à l’Éternité, bien des traits délicats de cœur humain et de poésie voilée nous souriront. La duchesse de Liancourt, pour retirer son mari du tourbillon où il s’égarait, se mit à embellir la terre de Liancourt, qu’elle lui rendit de la sorte agréable ; mais lui s’y étant retiré, et le but obtenu, elle continua

  1. Malgré l’autorité de Racine, je crois pourtant que parmi les religieuses qui moururent alors, il en est qui n’eurent point cette consolation suprême.