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PORT-ROYAL.

«… Pour diriger comme il convient, il le faut faire à loisir, et avoir l’âme en sa puissance un certain temps, pour la conduire pas à pas comme on conduit les enfants : car il en faut toujours venir là, que telles âmes sont plus foibles pour marcher vers le Ciel et vers la Grâce par les bonnes œuvres, que les enfants ne le sont après être sortis du maillot, et les malades après une longue fièvre. Il n’y a que l’orgueil de l’esprit humain et païen qui puisse s’opposer à cette vérité.… Demandez aux nourrices et aux médecins si on peut faire marcher les enfants et les malades qu’avec une grande patience.… Vouloir être en même temps confessé et absous, sans se soucier trop si l’on est disposé, comme veut M. de Genève, et sans vouloir faire pénitence, comme dit saint Charles, c’est vouloir faire sortir un malade de son lit sans que peut-être la fièvre l’ait quitté, … ou vouloir faire marcher un enfant aussitôt qu’il est né. Ces absolutions précipitées, dit saint Charles, ont gâté toutes les professions. Dites-lui tout cela avec gravité. Tout ce que vous pouvez faire, c’est de traîner et de l’instruire, s’il y prend plaisir : c’est à quoi l’on est obligé, sans se dégoûter du long temps. Il faut le traiter toujours avec grande patience, et même avec respect, qui reluise en tout, et autant dans les paroles que dans les actions[1].» — «Je comprends tout ce que vous me dites, dit M. Singlin ; mais ce qui m’embarrasse, c’est que je ne suis pas bien sûr de moi en parlant. Je vois tout ce que vous venez de me dire : il n’y a rien de


    mes, non pas chaque prêtre ordinaire suffisant comme chez les Catholiques tout à fait romains, mais chaque vrai prêtre (entre dix mille) directeur, chaque directeur pape, et toute l’Église en lui, quand il a l’inspiration directe. Le Jansénisme organique, à son plus grand état de simplicité et d’originalité, est là.

  1. M. de Saint-Cyran n’était pas toujours si endurant, comme lorsqu’il écrivait à M. de Rebours, à propos d’un pénitent de cette espèce : «Le gentilhomme court risque d’être toute sa vie un amphibie, et d’aimer seulement les beaux discours de Dieu et les fréquentes communions, qui sont les deux plus belles parties de la dévotion du temps… Si j’étois en votre place, je ne m’y amuserois plus. Tout ce que vous devez faire, c’est de l’écouter lorsqu’il vous viendra voir, et lui dire fort peu de chose, employant ce temps-là à prier Dieu intérieurement pour lui.»