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APPENDICE.

de confondre presque toujours la direction spirituelle avec la confession purement sacramentelle ; le directeur et l’auteur ascétique qui conduisent les âmes dans la voie de la perfection, avec le confesseur et le casuiste dont le propre est d’enseigner au pénitent la voie du salut. On semble trop oublier aussi que le confesseur est juge au saint tribunal de la pénitence, et que le casuiste n’est proprement qu’un légiste. L’un prononce la sentence, il absout ou condamne : l’autre expose et développe la loi ; il en indique les infractions, les châtiments, et s’il va plus loin, ce n’est pas communément pour montrer les voies de la perfection, mais pour présenter aux pécheurs les moyens indispensables au salut, la fuite des occasions, la prière, etc. Ses décisions sont pour la plupart des décisions rigoureuses ; ce qui est strictement permis ou défendu par rapport au salut éternel. Le casuiste écrit pour le simple confesseur : sous un autre point de vue, non pas opposé mais plus élevé, l’auteur ascétique écrit pour les directeurs des âmes pieuses, ou même pour les âmes que Dieu appelle à la sainteté et à une plus grande perfection ; il écrit encore pour tous les Chrétiens, afin de leur suggérer les moyens d’éviter le mal, de combattre et d’extirper leurs inclinations mauvaises, de pratiquer les vertus de leur état. On voit assez la différence qu’il peut y avoir entre les ouvrages des uns et des autres, et dans certaines circonstances, entre leurs décisions, comme il en existe entre la décision du Code criminel ou civil qui dit : Cela n’est pas permis, et la conscience de l’homme d’honneur qui dit : Cela peut être permis, mais cela ne convient pas, cela blesse les sentiments d’honneur et de délicatesse[1].

Chez les Jansénistes, on ne trouve pas le légiste chrétien, le simple théologien casuiste ; il n’y a que le directeur ou l’ascète rigide, qui exige toujours la perfection et la plus austère perfection. La comparaison n’est donc pas possible, et elle n’est certainement pas légitime entre les docteurs jansénistes et les théolo-


    et qui est, selon tous les auteurs, le propre des âmes très-parfaites : s’ils n’atteignent point à cette perfection, ils sont rejetés, c’est-à-dire, privés du pain de vie. Tout ou rien, dans le sens le plus absolu, semble être la devise des Jansénistes.

  1. Ainsi, dans un cas où le juge devra prononcer en faveur d’un fils qui plaide contre son père, un ami tâchera de réveiller dans le cœur de ce fils des sentiments plus généreux ; il l’engagera à sacrifier ses intérêts plutôt que d’affliger son vieux père. Le confesseur, lui, s’il ne peut déterminer le fils à ce sacrifice, devra peut-être l’absoudre. C’est là le cas où Jésus-Christ dit qu’on ne doit pas achever de rompre le roseau à demi brisé, ni éteindre la mèche encore fumante. On appellera cela tant qu’on voudra de la condescendance, des accommodements de conscience, il n’en est pas moins vrai que le confesseur qui cherche véritablement le bien spirituel et éternel de son pénitent ne devra pas le rejeter et le désespérer par une rigueur outrée, en l’éloignant des sacrements. Les Jansénistes ne connaissent pas cette indulgence ; c’est fâcheux pour eux.