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APPENDICE.

positivement les Jésuites, il n’en est pas moins vrai qu’il tombe directement sur leur doctrine morale qu’avait adoptée et enseignée le vénérable évêque de Sainte-Agathe-des-Goths. Dans l’examen de la doctrine, qui précède la sentence de béatification, on alléguait contre Liguori le Probabilisme qu’il avait enseigné et établi pour base de sa Théologie morale ; de plus il avait suivi pour maîtres et pour guides des auteurs Jésuites, entre autres le Père Busembaüm[1] ; et même il avait pris la Somme de ce dernier pour texte de ses commentaires, comme la plupart des théologiens scholastiques ont pris saint Thomas pour thème de leurs leçons. Enfin Liguori adoptait, la plupart du temps, les décisions des théologiens de la Compagnie, celles mêmes que Pascal et ses imitateurs ont marquées de leur plus noir charbon[2]. Toutes ces raisons n’ont pas empêché les examinateurs de la doctrine de l’évêque de Sainte-Agathe-des-Goths de prononcer que sa Théologie morale était sans reproche, et qu’on pouvait procéder à la béatification du vénérable serviteur de Dieu.

Nihil censura dignum est, est-il dit dans le Décret ; et plus tard un autre tribunal romain déclarait que tout confesseur pouvait suivre dans la pratique, et sans autre examen, toutes les décisions que renferme la Théologie morale du bienheureux Liguori, C’était là faire une complète et solennelle apologie de la doctrine des théologiens Jésuites, et en même temps jeter un certain blâme sur les rigueurs outrées de la doctrine contraire[3].

Vainement on objecterait que cette approbation posthume et indirecte des casuistes de la Compagnie est insuffisante, puisque la doctrine de saint Liguori est la même que celle des théologiens Jésuites, et que, la vérité étant invariable, elle n’est pas autre au temps de saint Liguori qu’elle n’était au temps de Pascal et des

  1. Busembaüm, dont le nom seul est parmi nous un épouvantail, a composé une Somme ou petit traité de Théologie morale très remarquable par l’ordre qui règne dans tout l’ouvrage, par la justesse des définitions et la netteté des décisions. Cet auteur, il est vrai, a payé tribut à la faiblesse humaine et aux doctrines qui avaient cours de son temps et dans sa patrie (le pays de Cologne) ; il a reproduit quelques propositions de morale qui plus tard ont été censurées. Mais à part ces quelques taches, qui ont disparu dans les éditions postérieures, le livre de Busembaüm est resté comme un des manuels les plus utiles aux ministres du sacrement de pénitence. Quand on demandait au pape Pie VIII, de glorieuse mémoire, quel était le meilleur Abrégé de Théologie morale, il conseillait l’ouvrage du Père Busembaüm comme le plus parfait qu’il connût en ce genre.
  2. Sans parler des propositions dénaturées ou falsifiées, il en est un grand nombre d’autres qui ont été attaquées par nos rigoristes français, et qui cependant ne méritent aucun blâme et continuent d’être enseignées par l’immense majorité des théologiens dans tout le monde catholique.
  3. Les rigoristes l’ont bien senti, et, pour ridiculiser leurs adversaires, ils ont, sans aucun respect pour les décisions de Rome, inventé l’épithète de Liguoristes pour désigner ceux qui, rejetant leurs exagérations dans la morale, ont embrassé une doctrine plus conforme au véritable esprit de Jésus-Christ, celle de saint Alphonse de Liguori.