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APPENDICE.

raison que j’ai de condamner les opinions nouvelles (des Jansénistes), c’est la connoissance que j’ai eue du dessein de l’auteur de ces opinions (Saint-Cyran) d’anéantir l’état présent de l’Église et de la remettre en son pouvoir. Il me dit un jour que le dessein de Dieu étoit de ruiner l’Eglise présente, et que ceux qui s’employoient pour la soutenir faisoient contre son dessein ; et comme je lui dis que c’étoient pour l’ordinaire les prétextes que prenoient les hérésiarques comme Calvin, il me repartit que Calvin n’avoit pas mal fait en tout ce qu’il avoit entrepris, mais qu’il s’étoit mal défendu. »

Et dans une autre lettre écrite au même abbé d’Horgni le 10 septembre 1648, saint Vincent disait « que le fond des maximes de l’auteur de toutes ces doctrines (Saint-Cyran) étoit de réduire l’Église en ses premiers usages, disant que l’Église a cessé d’être depuis ce temps-là. » Et il ajoutait : « Deux des coryphées de ces opinions ont dit à la mère de Sainte-Marie de Paris, laquelle on leur avoit fait espérer qu’ils pourroient attirer à leurs opinions, qu’il y a cinq cents ans qu’il n’y a point d’Église : elle me l’a dit et écrit. » — Et un peu plus loin, parlant du livre de la Fréquente Communion du docteur Arnauld, il disait encore : « M. Arnauld croit qu’il est nécessaire de différer l’absolution pour tous les péchés mortels jusqu’à l’accomplissement de la pénitence. Et n’ai-je pas vu faire pratiquer cela par M. de Saint-Cyran ? et ne le fait-on pas encore à l’égard de ceux qui se livrent à la conduite du parti ? »

On voit par l'Interrogatoire de Saint-Cyran, publié dans le Recueil d’Utrecht (1740), que dans la séance Xe on interrogea le prisonnier de Vincennes sur les fausses maximes que lui reproche ici Vincent de Paul ; on y voit aussi que Saint-Cyran nia tout absolument. Le fondateur de la Mission, dans sa première lettre à M. d’Horgni, fait entendre quelle foi on doit accorder aux dénégations du second Patriarche du Jansénisme : « J’ai ouï dire à feu M. de Saint-Cyran que s’il avoit dit dans une chambre des vérités à des personnes qui en seroient capables, et qu’il passât dans une autre où il en trouveroit d’autres qui ne le seroient pas, il leur diroit le contraire : il prétendoit même que Notre-Seigneur en usoit de la sorte, et recommandoit qu’on fît de même. »

Enfin, pour ne rien négliger des témoignages importants en cette matière, en voici un du plus grand poids : c’est un certificat donné par M. Pallu, évêque d’Héliopolis[1], et qui a été imprimé dans le Recueil des pièces présentées au Pape en 1727 dans la cause du bienheureux Vincent de Paul. On y lit ce qui suit :

« Étant allé à Samt-Lazare en l’année 1660, dit M. Pallu, rendre

  1. C’est ce M. Pallu qui fut le premier vicaire apostolique en Chine, et dont Fénelon a fait un si magnifique éloge en son Discours pour l’Épiphanie.