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APPENDICE.

le dogme, la morale et la discipline de l’Église[1]. Nous avons encore ici pour interprète fidèle et impartial des vraies doctrines de Saint-Cyran l’auteur de Port-Royal ; au tome premier, page 318, note 3, on lit : « Sous air de maintenir la prérogative extérieure et les droits de l’Épiscopat, Aurelius revenait en bien des endroits sur la nécessité de l’Esprit intérieur, qui était tout. Un seul péché mortel contre la chasteté destitue, selon lui, l’évêque,… La pensée du juste, en s’appliquant autant qu’elle peut à la lumière directe de la foi, y voit comme dans le miroir même de la céleste gloire. Ainsi se posait par degrés, dans l’arrière-fond de cette doctrine, l’omnipotence spirituelle du véritable élu. Derrière l’échafaudage de la discipline qu’il se piquait de relever, Saint-Cyran érigeait donc sous main l’idéal de son Évêque intérieur, du Directeur en un mot : ce qu’il sera lui-même en personne dans un instant ! » Ailleurs le même écrivain signale avec une rare sagacité la différence essentielle qui existe entre le Protestantisme et le Jansénisme. À propos d’une lettre où Saint-Cyran parle de la nécessité du Directeur, M. S.-B. ajoute : « On achève de bien saisir, ce me semble, le système théocratique particulier à M. de Saint-Cyran : non pas chaque fidèle Pape comme chez les Reformés, non pas chaque prêtre ordinaire[2] suffisant comme chez les Catholiques tout à fait romains, mais chaque vrai prêtre (entre dix mille) directeur, chaque directeur Pape, et toute l’Église en lui, quand il a l’inspiration directe. Le Jansénisme organique, à son plus grand état de simplicité et d’originalité, est là[3]. » Et voilà précisément pourquoi les Jésuites rejetaient le Jansénisme ; voilà pourquoi ils attaquaient en particulier les doctrines de Saint-Cyran qui établissait le Directeur non pas seulement comme dans l’Église catholique pour instruire et diriger les âmes dans les voies de la piété, mais pour être l’unique docteur de ses pénitents.

  1. Dans une lettre que Saint-Cyran écrivait à un personnage de grande qualité, on lit : « Suffit que je fais profession de ne savoir rien que ce que l’Église de douze cents ans (des douze premiers siècles) m’a appris, et que j’ai connu tous les siècles et ai parlé à tous les grands successeurs des Apôtres pour recevoir l’instruction d’eux, et ne mêler rien de mon sens avec le sens de l’esprit de Dieu qui nous a instruits par Jésus-Christ ! » Il poursuit, en condamnant comme fausse toute autre doctrine qui n’est pas conforme à la sienne. Selon lui, l’Église des derniers siècles n’existe pas ; ce n’est qu’un simulacre d’Église.
  2. Oui, chaque prêtre ordinaire en communion avec le Pape et approuvé par son évêque est suffisant pour les fonctions communes du sacerdoce. Saint François de Sales disait : « Choisissez un confesseur (celui qui doit vous absoudre) entre mille, mais choisissez un directeur (celui qui doit vous conduire dans les voies de la sainteté) entre dix mille. »
  3. Port-Royal, tome Ier, page (459. — Voir dans le même ouvrage, tome Ier, pages 290, 294, et ailleurs, maint endroit où M. S.-B. confirme par son propre témoignage tout ce que les Catholiques ont dit de l’hétérodoxie de l’abbé de Saint-Cyran.