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APPENDICE.

affecté de parler avec tant de mépris, s’exprime d’une manière pleine de prévoyance et de sens :

« Je soumets à Votre Paternité la résolution d’un problème qui nous occupe depuis longtemps : Est-il à propos d’écrire contre les Jansénistes ? Les uns le nient et donnent pour raison qu’après la condamnation solennelle de cette doctrine, c’est devenu inutile ; il peut être dangereux de les pousser à répondre à nos attaques ; ils se tairont bientôt si on ne les agace pas. Les autres, au contraire, soutiennent, comme fait d’expérience, que les Jansénistes par notre silence, n’en deviendront que plus audacieux et plus impudents menteurs : loin d’apprendre à se taire par notre exemple, ils n’en seront que plus prompts à écrire contre nous par l’espoir de ne rencontrer aucune contradiction. Depuis trois ans personne des nôtres n’a écrit, que je sache, contre les Jansénistes : depuis ce temps ils ont publié une telle quantité de livres et de libelles que je pourrois à peine en faire le catalogue. Il y a peu de jours ils ont publié un Manuel qu’ils appellent catholique, dans lequel on se rit de la Constitution d’Innocent X ; Alexandre VII n’est pas plus respecté ; l’autorité du Saint-Siège apostolique, en matière de controverse, y est indignement traitée. Déjà avoient paru deux volumes sous le pseudonyme de Denys Raimond, et antérieurement encore deux traités intitulés : De la nouvelle hérésie des Jésuites, à l’occasion des thèses du Collège de Clermont ; sept ou huit Lettres de quatre évêques qui favorisent le parti, etc. Je laisse de côté plusieurs ouvrages de ce genre ; mais on ne peut s’imaginer combien les adeptes s’attachent à l’erreur, combien les Catholiques se trouvent ébranlés dans leurs croyances, quand la vérité se trouve ainsi sans défenseur, quand l’innocence de ceux qui l’avoient autrefois soutenue se trouve assaillie par les malédictions et les opprobres, et toujours impunément. Ils croiront avoir tout gagné par les grâces et la finesse de leur style, pourvu qu’il ne se rencontre aucune main qui vienne mettre leurs mensonges à nu. »

« La condamnation de ces erreurs suffira pour les esprits soumis et dociles ; mais pour les réfractaires, qu’arrivera-t-il si personne ne leur répond ? On les punira ; mais les châtiments ne sont point à notre disposition comme la réfutation ; et d’ailleurs les ruses, les intercessions d’amis, rien ne manque pour détourner ces peines de dessus les coupables. J’ajouterai que les châtiments sont bien peu efficaces à changer les esprits, si de bonnes raisons ne viennent leur prêter secours. »

« D’ailleurs la pratique constante de l’Église nous apprend que de tous temps, l’erreur a rencontré des défenseurs de la vérité. Votre Paternité, qui a si longtemps pu étudier les écrits des Saints Pères, sait s’ils ont combattu les hérétiques, même après leur condamnation ; car il y a souvent bien loin de la condamna-