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APPENDICE.

On le voit, il ne s’agit pas ici d’attaquer personnellement les Jansénistes, mais bien de défendre l’Église et sa doctrine comme ont fait tous les Saints Pères ; et encore, courageusement, c’est-à-dire, en s’exposant à être injuriés, baffoués, calomniés ; et de plus, avec toutes les réserves de la prudence et de la sagesse chrétienne : Cum his conditionibus quas…, sous les conditions de discernement et d’exactitude que le Père Annat avait indiquées.

On objectera, peut-être, la conduite de certains Jésuites qui se sont laissé emporter par un zèle amer, exagéré, imprudent. Nous répondons que les fautes de quelques particuliers ne doivent pas être mises en parallèle avec la volonté bien connue des chefs de l’Ordre et des principaux membres qui gouvernent et représentent la Compagnie. Comment est-il possible que dans une Société qui comptait plus de 5000 prêtres capables de tenir la plume, il ne s’en trouvât quelques-uns qui, malgré les ordres et les intentions des Supérieurs, n’excédassent dans le juste droit d’attaque ou de défense ? Chaque Jésuite en particulier n’est ni impeccable ni infaillible : et comme le remarque très bien en ce point un des Généraux de la Compagnie, toutes les fois que des membres de l’Ordre se sont permis des attaques imprudentes ou répréhensibles qui ont causé des embarras à l’Ordre tout entier, ç’a été presque toujours parce qu’ils n’ont pas gardé les règles de leur Institut ou qu’ils se sont écartés des injonctions de leurs Supérieurs.[1]

C’est bien ici, ce me semble, qu’il faudrait traduire en sens inverse une maxime de l’abbé de Saint-Cyran, répétée bien des fois depuis, et adoptée, au moins en partie, par bien des hommes judicieux en tout le reste. La voici, telle que nous la lisons dans la déposition de l’abbé de Prières : « Le dit sieur de Saint-Cyran lui auroit dit qu’il falloit excuser les fautes des particuliers (Jésuites), et ruiner le Corps comme dommageable à l’Église ! » Le simple bon sens dit le contraire, aussi bien pour la Société de Jésus que pour toutes les autres Congrégations possibles. Conforme en ceci au bon sens et aux lois éternelles régissant le monde moral, l’histoire atteste que toutes les fautes, du moins les fautes


    reticos a Societate nostra susceptam, silentio praeferrem ; nisi mala, quae adversariorum scriptis patimur, et turbae quas excitant adversus Ecclesiam et regni pacem, nobis ipsis imputarentur etiam apud Christianissimum Regem ab ipsius ministris. Cujus rei veritatem maxime ad Reverentiam Vestram spectat expendere. Quare, si ipsi constare potest neque a Rege Christianissimo, neque a primariis ejus ministris, et praesertim ab excellentissimo Regis Cancellario, improbatum iri, per me licet omnino cum his conditionibus, quas Reverentia Vestra attigit, contra haereticos dimicare posse. »

  1. Dans une lettre adressée par le Père Nickel au Père Castillon, Provincial de France, en 1658, le Père Général se plaint qu’on ait laissé paraître sans Approbation un ouvrage qui a excité des tempêtes ; puis il ajoute : « Et forte haec paena est transgressionis illius regulae 42 Summarii : ita discamus patiendo potius quam pugnando vincere. »