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LIVRE PREMIER

flots dans la grand’salle, attendant, écoutant aux portes fermées ; car les Jésuites avaient obtenu que les débats ne fussent pas publics. L’orateur même en tirait parti en quelques meilleurs endroits : il les montrait toujours aimant le petit bruit, non pas venus d’abord en France à enseignes déployées, mais se logeant dans l’Université en petites chambrettes, longtemps renardant et épiant. Il étouffait pourtant dans ce huis-clos.

Jamais enfin, dans nul autre discours, M. Arnauld n’a autant déployé que dans celui-ci ce que son fils d’Andilly appelle les maîtresses-voiles de l’éloquence. Nous retrouverons de reste ces mêmes maîtresses-voiles, non moins pleinement gonflées, dans les plaidoyers de M. Le Maître, son petit-fils, l’un de nos solitaires.[1].

    maître Antoine Arnauld commença son plaidoyer contre eux, qui fut violent en toutes ses parties depuis le commencement jusques à la fin : car il appela lesdits Jésuites voleurs, corrupteurs de la jeunesse, assassins des rois, ennemis conjurés de cet État, pestes des républiques, et perturbateurs du repos public ; brief, les traita comme gens qui ne méritoient pas seulement d’être chassés d’un Paris, d’une cour et d’un royaume, mais d’être entièrement râclés et exterminés de dessus la face de la terre ; entra aux preuves de tout cela sur les mémoires qu’on lui avoit baillés, qui sont mémoires d’avocats, qui ne sont pas toujours bien certains. Que si à son plaidoyer il eût apporté plus de modération et moins de passion, laquelle ordinairement est sujette au contrôle et à l’envie, il eût été trouvé meilleur de ceux mêmes qui n’aiment pas les Jésuites et qui les souhaitent tous aux Indes, à convertir les infidèles. »

  1. On lit le nom de M. Arnauld au nombre des auteurs les plus célèbres recommandés par l’Académie française lors du premier projet de Dictionnaire (voir l'Histoire de l’Académie, par Pellisson) : il figure dans l’honorable catalogue non loin de M. Marion, mais un peu près de saint François de Sales et de Montaigne, quand on songe que son principal titre dut être le fameux discours. — Un autre morceau de lui également fameux, et qu’il ne faut pas confondre avec le plaidoyer, parut en 1603 sous ce titre : Le franc et véritable Discours au Roy sur le rétablissement qui lui est demandé pour les Jésuites Mais on voit dans Bayle que la peur prit à M. Arnauld de déplaire au roi, et qu’il retira le plus qu’il put les exemplaires. Soit différence de genre (le franc Discours n’ayant été destiné qu’à l’impression), soit progrès naturel des dix années écoulées, cette seconde Provinciale de M. Arnauld est de beaucoup meilleure pour le ton que la plaidoirie de 1594.