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PORT-ROYAL

À combien plus forte raison doit-il en être ainsi dans l’histoire du passé ! Seulement là, le plus souvent, la vérification dernière est impossible, et l’approximatif seul fait la limite extrême de notre observation. Au moins quand des tableaux, des récits naïfs se présentent, profitons-en pour éclairer certains coins de mœurs et certains caractères de personnages, pour tâcher de nous les peindre sans rien d’abstrait ni de factice, et comme ils étaient, avec leur bon et leur mauvais, dans ce mélange qui est proprement la vie. J’admire Henri IV, et tous l’aiment ; et c’est là son rôle officiel, en quelque sorte, dans l’histoire, d’être le bon Roi et d’être aimé. Pourtant, si nous revenions au temps de Henri IV, si, avec les idées qu’on s’est aujourd’hui formées de lui, nous avions l’honneur de le voir revivant comme alors et de le pouvoir connaître, nous ne sortirions pas, j’en suis sûr, sans mécompte. Ce ne serait pas sa faute ; car ce qu’il a été, il n’a rien fait pour le cacher, il l’a été tête haute et bien à l’aise : ce serait la faute de notre prévention. Les Mémoires de d’Aubigné, quand nous les lisons, défont un peu le personnage officiel, non pas l’héroïque (celui-là subsiste toujours), mais le personnage plus débonnaire – qu’il ne faut, et qu’on est habitué à se façonner sous ce nom. L’anecdote à laquelle, à travers ces détours, j’en veux venir sur l’abbaye de Maubuisson, sans prouver beaucoup, n’est point favorable à l’idéal du bon Henri : elle est beaucoup moins contraire à un certain autre côté malin et narquois de Henri IV, qui fait également partie de la tradition populaire.

Madame d’Estrées, à qui notre jeune Angélique est confiée, avant de gouverner l’abbaye de Maubuisson, n’avait que celle de Bertaucourt, près d’Amiens. Un jour donc que Henri IV était allé à Bertaucourt faire visite à madame Gabrielle, qui, pour plus de commodité, logeait chez sa sœur l’abbesse, la belle pria le roi