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PORT-ROYAL

sentiment de ce qu’allait devenir, grâce à l’abbesse nouvelle, ce Port-Royal qu’il faudrait réprimer, Rome y mettait peu de bonne volonté. À défaut de pressentiment, on s’y souvenait du plaidoyer de M. Arnauld, des réquisitoires assez récents de M. Marion contre les Jésuites et contre les prétentions ultramontaines : les véritables scrupules pouvaient bien venir de là. Mais le cardinal d’Ossat, en négociateur habile, s’arma précisément de ces circonstances, représenta l’éclat d’un refus qui aurait couleur politique, l’intérêt de passion qu’y mettrait le Parlement, l’adoucissement qui, au contraire, résulterait d’une faveur du Saint-Siège ; et il emporta enfin comme d’assaut les Bulles tant désirées. Il y était question, dans les considérants, des services rendus au monastère de Port-Royal, pendant les troubles de religion, par M. Marion, aïeul de l’abbesse, sans les secours et soins duquel le monastère, était-il dit, n’aurait pu subsister. J’avoue que tous ces stratagèmes avérés, joints à l’âge de dix-sept ans qui était un pur mensonge, me rendent moins invraisemblable une parole dénigrante de Tallemant sur les Arnauld, à laquelle je n’avais d’abord pu croire. Il parle d’un jeune avocat d’esprit caustique, nommé de Pleix, qui ayant été leste un jour au Palais en plaidant contre M. Arnauld, se vit obligé de faire de publiques excuses. Mais de Pleix se vengea de l’humiliation, et joua depuis un méchant tour à cette famille ; «car il se mit, dit Tallemant, à rechercher dans les registres de la Chambre des comptes, et fit voir qu’on avait enregistré des brevets de pension pour services rendus par des enfants de cette famille qui (à la date des brevets) étaient à la bavette, et fut cause qu’on leur raya pour plus de douze ou quinze mille livres de pension. Cela s’était fait par la faute de M. de Sully.»

La conclusion morale à tirer de tout ceci (car il en faut une, et je n’accumule point ces détails sans dessein).