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LIVRE DEUXIÈME.

Le premier traité de Jansénius, partagé en huit livres, est consacré en entier à l’historique de cette hérésie : Pélage d’abord, et ses disciples déclarés, Célestius, Julien ; puis cette seconde génération de disciples (s’il faut leur donner ce nom) bien plus mitigés et spécieux, les Semi-Pélagiens de Marseille et de Lérins. Ces livres, tant comme récit et rassemblement des faits que comme exposition et discussion de doctrine, me paraissent constituer un grand et assez beau morceau d’histoire ecclésiastique qui n’a pas encore été mis à sa place.

La sagacité active et ennemie avec laquelle Jansénius poursuit et démêle jusqu’au bout les ruses, les arrière-pensées, les modérations affectées de ses adversaires, m’a tout à fait rappelé la façon par laquelle, en son traité ou plutôt son pamphlet contre Bacon, le grand De Maistre le perce à jour, l’interprète en le serrant et en le tordant, et le pousse, l’assiège comme à outrance en tout recoin de pensée. Il y a quelque rapport en effet, et, sauf les longueurs, le style du gros in-folio n’est pas non plus sans flamme et sans éloquence, ni surtout sans de ces coups bien à fond et qui pénètrent : «La méthode de Pélage et de ses disciples, écrit Jansénius, afin de plus sûrement tenter les esprits des hommes et de les ébranler sourdement jusqu’à la ruine, ç’a été de produire les difficultés contre la foi sous forme de questions et d’insérer dans leurs ouvrages ce qui étoit soulevé là-dessus, non point par eux, mais par d’autres.» On ne saurait mieux caractériser la méthode prudente et cauteleuse dont Bacon lui-même, et surtout Bayle, firent tant d’usage, cette méthode d’attaque et de sape qui va son train sous air d’érudition. Saint Augustin en main, et s’armant de sa parole, qu’il possède et manie en tout sens comme un glaive, Jansénius démasque et perce cette marche rusée, ces circuits du serpent, et il