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PORT-ROYAL.

anse étant rompus, par lesquels on se figure que la nature offre prise et fait avance à la Grâce,[1] — tous degrés étant mis bas, par où l’orgueil humain s’efforce toujours de gravir par lui-même pour la mériter, — le commencement, le milieu et la fin du salut, et le pivot même de séparation entre telle et telle âme en cette vie et en l’autre, allassent sans détour, en paroles claires et formelles, se fixer au très libre, très pur, très miséricordieux et très secret bon plaisir de la Volonté divine, et tout entiers s’y suspendre. » Saint Augustin sentait d’autant mieux la difficulté de croire si aveuglément, qu’il avait partagé lui-même, avant d’être évêque, l’opinion qui fut ensuite la semi-pélagienne : «Les Semi-Pélagiens donc trouvoient très dure une doctrine qui, anéantissant en quelque sorte l’efficace de tous les efforts humains, remettoit l’homme aux obscurs et inconnus décrets de Dieu, et exposoit, pour ainsi dire, le vaisseau dénué de rames et de voiles sur le plein Océan de la divine Volonté.» Aussi (et c’est toujours l’expression de Jansénius que je traduis et que j’emploie), « pour obvier à cette apparente absurdité trop lourde à porter à des âmes trop charnelles et qu’aveugloit légèrement la fumée de l’orgueil, ils imaginèrent à grand artifice des espèces d’échelles par où l’on pût monter aisément de la nature à la Grâce ; et, pour qu’on ne dît pas que ces échelles tout entières pendantes du Ciel étoient tout à fait hors de notre pouvoir, ils imaginèrent d’en placer le dernier, le plus bas et aussi bas qu’on le peut concevoir, mais enfin un certain échelon dans la puissance de l’homme : de telle sorte, au moins le pre-

  1. Ruptis omnibus catenœ illius ansulis… ; on se rappelle cette anse restée après la Chute, dont parle saint François de Sales, plus commode que saint Augustin (voir au tome I, livre I, chapitre IX, p. 224). Nous aurons plus loin encore, par contraste, à nous en ressouvenir.