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LIVRE DEUXIÈME.

dans les alentours et comme dans les faubourgs plus ou moins épars de l’âme, mais au cœur même de la place, et d’autant plus haut et en lieu plus inexpugnable que cette âme est naturellement plus élevée. Or, si nous nous demandons dans laquelle de ces trois passions rentre celle de l’art ou du goût, nous voyons que c’est un composé du premier et du second genre (du libido sentiendi et du libido sciendi), passion d’exprimer et passion de percevoir ; c’est en effet une combinaison de la perception purement idéale et de l’expression sensible, et à laquelle se joint vite la troisième passion, le désir d’exceller ou dans la création ou dans la perception. Jansénius, au reste, sait très-bien tirer lui-même la conséquence, et, au chapitre suivant,[1] il montre qu’il ne faut céder à aucune concupiscence, pas plus aux spirituelles et aux délicates qu’aux grossières. On sait qu’Augustin se reprochait les larmes qu’il avait versées sur Didon ; il allait plus loin encore et jusqu’à se reprocher le plaisir qu’il prenait aux saints cantiques, lorsqu’en les écoutant il se laissait conduire, par mégarde, au son plutôt qu’au sens : « Je pèche d’abord sans le sentir, disait-il, mais ensuite je m’aperçois que j’ai péché ; in his PECCO non sentiens, sed postea sentio.[2] » On s’y perd, on est dans les derniers raffinements du bien. Ce dévot qui croyait pouvoir assister à l’Opéra, moyennant qu’il tînt les yeux fermés tout le temps, était bien loin du compte. On reconnaît combien cette théorie de Jansénius et d’Augustin s’accorde (sauf ce qu’il y a de charmant dans les aveux d’Augustin) avec tout ce que nous avons entendu là-dessus de la bouche de M. de Saint-Cyran. On ne reconnaît pas moins combien, sur ce point comme sur d’autres plus essentiels, on tourne le dos à Rome, à

  1. Au chap. IX.
  2. Voir, au livre X des Confessions, l’adorable et subtil chapitre 33.