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LIVRE DEUXIÈME.

force éloges, et y mêlait de grands témoignages de passion pour la vertu et le savoir incomparable de nos chers amis, ainsi qu’il les appelait. Il écrivait aussi des lettres de compliment, dans les occasions, à madame de Sablé. Il répondait par d’utiles avis à Lancelot qui le consultait au sujet de ses Grammaires italienne et espagnole. Mais le très-sage et circonspectissime personnage n’allait point au delà, et, en ce qui était du fond, il se tenait à distance respectueuse : ce n’est pas un reproche que je lui fais.

Godeau, plus agréable, est une autre figure assortis-

    prophétiques, est comme un vague et solennel écho, mais un écho qui sonne bien creux, de quelqu’un de nos solitaires des Champs :
    «Ne doutez point de mes paroles, me dit-il, comme il me vit chancelant (c’est un des personnages du roman, un Inca, qui fait ce récit), vous ne sauriez vous opposer à ce que Dieu a résolu de vous. Vous quitterez bientôt ce fils qui vous est si cher. Vous viendrez habiter cette caverne ; et le même Dieu qui vous a préparé cette retraite, sans vous en demander conseil, préparera encore, sans vous en demander la permission, la volonté qu’il faut que vous ayez pour y venir sans contrainte. — Mais, mon Père, lui répondis-je, je ne sens rien en mon cœur qui me parle comme vous me parlez : au contraire, je me trouve excité à poursuivre mes premiers desseins, à rechercher les grandeurs, à les procurer pour le Prince que je conduis, et à le porter à une vie tout opposée à celle que vous voulez que j’embrasse. — Ces inquiétudes, ces vanités, ces mouvements de la partie inférieure, me répliqua-t-il, sont des peines secrètes d’un péché que vous ignorez. Je sais que vous êtes encore tout plein des fantômes et des restes de vos dérèglements passés ; mais je sais aussi que vous avez dans le cœur une étincelle qui, de temps en temps, vous fait sentir quelque commencement de chaleur. C’est de cette étincelle que doit procéder le grand embrasement qui vous consumera. Mais cet embrasement dépend de Celui qui, par sa pure miséricorde, fait vivre cette étincelle dans la glace, et malgré les vents auxquels elle est exposée. Quand il voudra parler, la glace sera fondue, les vents seront apaisés, le feu se mettra partout ; et votre volonté, changée par la puissance de la dilection, semblera se porter d’elle seule, tant elle s’y portera librement, où elle sera poussée par la violence de l’Esprit qui fera son amour. Mais en voilà trop pour un coup.»
    Je crois du moins que c’en est bien assez. Gomberville, aujourd’hui, n’est plus lisible. Je ne le remarque que, parce que, l’autre jour, j’entendais auprès de moi un grand oracle, qui a pris, depuis quelque temps, la haute main et qui tranche d’autorité sur ces personnages du dix-septième siècle, déclarer que Gomberville avait `beaucoup de talent. Ne vous y fiez pas.