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PORT-ROYAL.
avec l’étole ; sa santé diminuoit tous les jours, et il tomba malade sur la fin de septembre de cette année 1643. Le mal se déclara d’abord par une petite fièvre dont les commencements parurent peu considérables et sans danger ; mais, soit que son tempérament fût entièrement altéré par ce qu’il avoit souffert en sa prison, soit que la fièvre fût intérieure et qu’elle ne parût pas aussi dangereuse qu’elle l’étoit en effet, le danger se déclara si brusquement et surprit tellement la vigilance de ses domestiques, qu’on ne pensa qu’aux remèdes sans penser aux sacrements. Il fut près de huit jours en cet état ; mais l’ardeur de son mal embrasa ses entrailles déjà desséchées par l’opiniâtreté de son étude et par les fumées de sa bile ; puis il se fit un transport si fiévreux au cerveau qu’on n’eut pas le temps de lui donner l’Extrême-Onction tout entière, quelque diligence que fissent ses amis pour sauver quelque reste de bienséance qu’il y avoit à ne pas laisser mourir un homme de ce caractère sans sacrements.
« Quoi qu’il en soit, il mourut entre les bras de son curé aux premières onctions du sacrement ; ce fut, à ce qu’on prétend, d’une apoplexie dans toutes ses circonstances, et ce fut en vain que, pour sauver l’honneur du défunt, on trompa le public par la Gazette et qu’on gagna le gazetier pour lui faire mettre dans l’article Paris que « le 11 du mois l’abbé de Saint-Cyran, malade depuis quelques jours, mourut ici d’une apoplexie, qui lui survint après qu’il eut reçu le saint Viatique, avec une piété digne d’une éminente vertu ; » car celui qui lui donna l’Extrême-Onction témoigna le contraire. Mais, pour démêler les contradictions qui se débitèrent alors sur ce fait, il faut savoir que Honorat de Mulsey, alors curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, traita, sur la fin de cet été, de cette cure avec l’abbé de Pons qui avoit un frère à la Cour, dans le service auprès de la reine. Le traité entre l’un et l’autre étant conclu, l’abbé de Pons prit possession de la cure, mais je ne sais pourquoi M. de Mulsey ne s’étoit pas encore tout à fait démis de son poste, et par une tolérance mutuelle ils faisoient, tantôt l’un et tantôt l’autre, les fonctions de curé ; et comme, dans l’accès de l’apoplexie qui frappa Saint-Cyran, on courut à la paroisse pour l’Extrême-Onction, Mulsey qu’on demandoit ne s’étant pas trouvé au logis, l’abbé de Pons s’y trouva ; il porta les saintes huiles au malade qui mourut peu après. Voici, sur ce sujet, un billet de lui adressé à l’un de ses amis :
« Vous me demandez si M. l’abbé de Saint-Cyran a reçu ses sacrements à la mort ; personne ne peut mieux vous répondre de cela que moi ; car, ayant été appelé par ses domestiques pour lui donner l’Extrême-Onction, il mourut avant que j’eusse achevé ; j’avois traité de ce bénéfice avec l’abbé Honorat Mulsey quelques jours auparavant, et il ne s’étoit pas encore entièrement défait de ses fonctions ; nous nous aidions l’un l’autre dans les besoins de la paroisse, et ne s’étant pas trouvé au logis, je fus appelé pour assister ce malade en cette extrémité : je ne pus achever, la mort l’ayant surpris : pour les autres sacrements, il ne les reçut point, et il ne nous en fut pas même parlé ni à l’un ni à l’autre. J’ai remarqué autour du malade deux femmes qui le servoient avec bien de l’affection, l’une assez jeune, et l’autre avancée en âge : on disoit dans le domestique qu’elles avoient grand soin de lui et qu’il avoit grande confiance en elles. Mon collègue Mulsey déposa que le défunt avoit reçu ses autres sacrements, ce qu’on exigea de lui pour sauver l’honneur de cet abbé, et ce fut à force d’argent qu’on tira ce témoignage. C’est tout ce que je sais sur cela. »
« L’ABBÉ DE PONS, CURÉ DE SAINT JACQUES-DU-HAUT-PAS »