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PORT-ROYAL.

mal et dénaturés. M. Du Hamel étant tombé gravement malade en juillet 1649, on désespéra de sa vie, et l’on crut du moins qu’il ne se remettrait jamais. Ses amis jugèrent à propos de lui demander une résignation de sa cure. Il jeta tout d’abord les yeux sur M. Feydeau, son premier auxiliaire, comme le plus capable et le plus digne. Au refus de M. Feydeau, il dut choisir un M. Beauvais[1] qui lui fut présenté et qui prit possession. Cependant sa santé s’étant rétablie contre tout espoir, quand on le vit hors de danger, on songea tout naturellement à ne pas se priver de lui et à remettre les choses sur le même pied qu’auparavant. Le Coadjuteur vint lui commander de la part de l’archevêque, son oncle, de reprendre sa cure. M. Du Hamel, après une certaine résistance, y consentit. Le Père Rapin voit et dénonce, en tout ceci, un « micmac de morale. » S’il ne s’agissait pas d’un Janséniste, le cas pourtant paraîtrait bien simple. Mais ce ne sont là que des roses. À un endroit, le Père Rapin accuse positivement M. Du Hamel de vol, de détournement des aumônes reçues : il aurait, avec cet argent des pauvres, acquis une terre qu’il aurait mise sous le nom d’un de ses voisins et confidents : mais « un homme du caractère de M. Du Hamel ne pouvoit, dit le Père Rapin, avoir pour confident qu’un fripon. » Ce fripon, en effet, quand il vit la terre bien et dûment enregistrée sous son nom, la garda pour lui ; M. Du Hamel fut pris pour dupe. « Ce fut là, ajoute le Père Rapin, un des traits de cette morale qu’on enseignoit à Port-Royal, et qu’on vantoit si fort dans le monde. On n’en sut rien toutefois alors dans le public… » Et d’où le savez-vous donc vous-même, mon Révérend Père qui faites ici un méchant métier ? qui vous l’a dit ? qui vous a initié à une affaire si secrète ? qui vous a dé-

    sieurs fois dans ce dessein et fit ce qu’elle put pour lui donner de l’amour. M. Du Hamel, extrêmement simple, ne s’aperçut pas d’abord de ses pièges ; mais, lorsqu’elle lui eut déclaré sa passion en termes fort hardis, il en eut horreur ; il se douta d’abord de la vérité du fait, et la pressa si fortement qu’elle lui avoua qu’elle avoit été envoyée par deux de ses ennemis qu’elle lui nomma. Il lui fit un discours très-pathétique sur l’enormité de son crime ; elle témoigna avoir quelque regret de s’être ainsi vendue à l’iniquité ; mais elle a avoué depuis qu’elle eut beaucoup de dépit de se voir vaincue, quoiqu’elle admirât la vertu de M. Du Hamel, qui de son côté a confessé qu’il ne s’étoit jamais trouvé dans un si grand péril. » Vous faites comme moi, vous souriez, mais vous sentez de quel côté est l’odieux et l’infamie. — On ne tarirait pas si l’on voulait tout dire. Le Journal de Des Lions nous apprend (à la date du 14 octobre 1657) jusqu’où allaient ces calomnies grossies contre le curé exilé : « M. Pélissier m’a parlé d’un conte des disciplineuses (filles et femmes à qui l’on donnait la discipline) de M. Du Hamel dans une chapelle de Saint-Merry à quatre heures du matin. M. (le curé) de Saint-Nicolas m’a dit n’avoir jamais rien ouï de semblable, mais seulement de certaines tendresses et touchemens de mains à ses dévotes… » M. Du Hamel, pour les démonstrations et embrassades, avait du genre de M. d’Andiily : les ennemis exploitèrent les apparences et allèrent jusqu’à spécifier des horreurs.

  1. Dans les Mémoires manuscrits de M. Feydeau, on lit M. Beauvoir.