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PORT-ROYAL

peu propice à l’émulation littéraire ; celui-ci écrivait à Arnauld : « Quand le temps même de produire quelque ouvrage sera arrivé, il faudra toujours que cela se fasse en observant les règles du silence et en mettant en peine le monde d’en savoir les auteurs. » Ce genre d’anonyme, non pas celui qui est piquant et coquet, qui se dérobe pour être mieux vu, mais celui qui fait obscurité sérieuse, profonde et définitive, devient mortel à la passion d’auteur dont le vœu secret est toujours monstrari digito et dicier hic est. Ce qui est fleur littéraire proprement dite, pour s’épanouir, a tant besoin du rayon, au moins détourné, qui tombe sur elle, de la brise du dehors qui l’excite et la rafraîchit !

Quant au fond, au fruit du style et de la parole écrite, quant à la qualité salubre et bienfaisante qui en sera le principal mérite chez ses disciples, M. de Saint-Cyran y avait d’ailleurs grandement réfléchi, et il nous le prouve dans ses recommandations en disant : « Il se fait une certaine transfusion, sur le papier, de l’esprit et du cœur de celui qui écrit, qui est cause qu’on aperçoit, pour ainsi dire, son image dans le tableau de la chose qu’il représente… Le moindre nuage qui se trouve dans notre cœur se répandra sur notre papier, comme une mauvaise haleine qui ternit toute la glace d’un miroir, et la moindre indisposition que nous aurons sera comme un ver qui passera dans cet écrit, et qui rongera le cœur de ceux qui le liront jusqu’à la fin du monde. » N’est-ce pas là d’avance une assez belle tra-


    semble avoir eu principalement en vue Arnauld et quelques-uns de ses factums théologiques célèbres, lorsqu’il ajoute : « Ces ouvrages ont cela de particulier, qu’ils ne méritent ni le cours prodigieux qu’ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent lorsque, le feu et la division venant à s’éteindre, ils deviennent des almanachs de l’autre année. » La Bruyère était très mondain et très moderne.