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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

saveur et par leur éclat les phases, les accidents divers sous le soleil, les greffes plus ou moins heureuses, les variétés du tronc et des rameaux. Il n’en est pas ainsi de ses romans : ils ne lui sont pas venus et n’ont pas dû lui venir aussi naturellement et, pour ainsi dire, par une voie de végétation régulière et harmonieusement successive. Les romans ne sont pas l’œuvre propre de la première jeunesse. Quelles qu’on en suppose la forme, l’inspiration et l’humeur, ils se réduisent toujours à être une excursion d’assez longue haleine dans le monde et dans la vie. Or, le monde qu’on n’entrevoit à cet âge que dans une confusion éblouissante, la vie qui ne s’offre aux yeux encore que comme une tour magique dont les vives arêtes étincellent, les hommes qu’on se figure alors tout bons ou tout méchants, détestables ou sublimes, comment rentrer chez soi pour les peindre, comment cheminer au dehors pour les connaître, et s’en laisser coudoyer sans les heurter ? comment les prendre en patience, en moquerie, en longanimité, en compassion ; consentir aux disparates, aux inconséquences qui sont le train ordinaire ? comment s’amuser aux causeries, quand on se précipite aux conclusions ; comment vouloir des intervalles, quand on ne cherche que les saillies ? comment se souvenir, quand on rêve et qu’on invente ? Non, le roman n’est pas le fait du jeune homme. Le jeune homme a le cœur plein ; qu’il parle, qu’il chante, qu’il soupire ! Les longues routes qu’on fait lentement et où souvent l’on s’arrête, prenant intérêt à tout, montrant du geste ou de la canne chaque perspective