Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/15

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tière plus fine, plus déliée, et qui prêtait du moins à cette mise en œuvre. Ce Daphnis qu’il célèbre sans cesse, et qui apparaît comme l’inventeur à demi divin du criant bucolique, nous figure le génie même d’une race douée de légèreté, d’allégresse et de mélodie. Il n’y eut pas ombre de Daphnis à l’entour de Cincinnatus. Il semble plutôt que l’antique esprit d’Hésiode, esprit grave, religieux, positif, tout nourri de bon sens et d’apologues, ait passé de bonne heure dans la forte Étrurie, et que de ce côté il ait fait longtemps la seule part de poétique héritage.

On sait peu de chose de la vie de Théocrite. Il était né à Syracuse. On calcule que la date de sa naissance peut tomber vers l’année 300 ou 305 avant Jésus-Christ. Il alla, jeune, étudier dans l’île de Cos, sous l’illustre poëte Philétas, qui, tout l’indique, était dans l’élégie ce que Théocrite est devenu dans l’idylle, et qui tenait la palme entre tous. Auprès de Philétas étudiait aussi le fils de Ptolémée Lagus, qui allait régner bientôt sous le nom de Philadelphe. Il était du même âge que Théocrite, et un peu plus jeune peut-être. Y eut-il là entre le jeune prince et le poëte une de ces confraternités d’études aussi puissantes dans l’antiquité que dans les temps modernes ? M. Adert, dans une thèse sur Théocrite, que j’ai sous les yeux, l’a ingénieusement conjecturé, et a fait valoir ces circonstances. Au sortir de là, on perd de vue le poëte. Alla-t-il tout d’abord à Alexandrie, comme de doctes éditeurs l’ont pensé ? On voit qu’à un certain moment, revenu en Sicile, il songea pour sa fortune à se tourner vers Hiéron de Syracuse. La pièce qui porte cette adresse, très-belle, mais assez amère, et où il exprime ses plaintes encore plus que ses espérances, semble prouver qu’il n’avait guère prospéré dans l’intervalle, et que la confraternité d’études avec Ptolémée Philadelphe ne lui avait pas beaucoup profité. En tira-t-il meilleur parti plus tard, lorsqu’il alla ou retourna à Alexandrie ? Est-il même besoin de supposer qu’il y retourna, si l’on admet qu’il y était déjà allé au sortir de l’île de Cos ?