Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/171

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avec qui parler, rire et raisonner autant et plus que ne s’étendent les pauvres facultés de mon entendement, et l’exercice que je prétends lui donner. » Ces regrets, on le sent bien, sont sincères, mais tempérés ; il n’a pas honte d’être provincial et de s’enfoncer de plus en plus dans la vie obscure : il envoie à Mme du Deffand des pâtés de Périgord, il en mange lui-même[1] ; il va à la chasse malgré son asthme ; il a des procès ; quand ce ne sont pas les siens, ce sont ceux de ses frères et de sa famille. Ainsi s’use la vie ; ainsi finissent, quand ils ne meurent pas le jour d’avant la quarantaine, les meilleurs même des chevaliers et des amants.

Il mourut non pas en 1758, comme le disent les biographies, mais bien deux ans plus tard. Un mot d’une lettre de Voltaire à d’Argental, qu’on range à la date du 2 février 1761, indique que sa mort n’eut lieu en effet que sur la fin de 1760. Voltaire parle avec sa vivacité ordinaire des calomniateurs et des délateurs qu’il faut pourchasser, et il ajoute en courant : « Le chevalier d’Aydie vient de mourir en revenant de la

  1. Voir, dans le premier des deux volumes déjà indiqués (Correspondance de Mme du Deffand, 1809), pages 334 et 347, des passages de lettres du comte Desalleurs, ambassadeur à Constantinople ; en envoyant ses amitiés au chevalier, il le peint très-bien et nous le rend en quelques traits dans sa seconde forme non romanesque, qui ne laisse pas d’être piquante et de rester très-aimable. – Il ne faudrait pas d’ailleurs prendre tout à fait au mot le chevalier (on nous en avertit) sur cette vie de Mayac et sur le bon marché qu’il a l’air d’en faire. Le château de Mayac était, durant les mois d’été, le rendez-vous de la haute noblesse de la province et de très-grands seigneurs de la Cour ; on y venait même de Versailles en poste, et la vie était loin d’y être aussi simple que le dit le chevalier. Notre vénérable et agréable confrère, M. de Féletz, nous apprend là-dessus des choses intéressantes qui sont pour lui des souvenirs. Jeune, partant pour Paris en 1784, il fut conduit par son père à Mayac, où vivait encore l’abbé d’Aydie, frère du chevalier, et plus qu’octogénaire ; il reçut du spirituel vieillard des conseils. Un jeune homme de qualité ne quittait point, en ce temps-là, le Périgord sans avoir été présenté à Mayac ; c’était le petit Versailles de la province, – Voir ci-après la note [L].