Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/230

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éteignait l’amour, et qu’Ulrique avait vu toutes ses joies mangées en une nuit par un renard. Si c’était des oies, encore passe ! Mais cela est bien réparé par la force et la vérité des caractères et des détails.

« Adieu, madame. Mille et mille choses à l’excellente Mlle Louise, à M. de Charrière et à Mlle Henriette ; mais surtout pensez bien à moi. Je ne vous demande pas de penser bien de moi, mais pensez à moi. J’ai besoin, à deux cents lieues de vous, que vous ne m’oubliiez pas. Adieu, charmant Barbet. Adieu, vous qui m’avez consolé, vous qui êtes encore pour moi un port où j’espère me réfugier une fois. S’il faut une tempête pour qu’on y consente, puisse la tempête venir et briser tous mes mâts et déchirer toutes mes voiles ! »

Darmstadt, le 23.

« Du thé devant moi, Flore à mes pieds, la plume en main pour vous écrire, me revoilà comme en Angleterre, et celui qui ne peindrait que mon attitude me peindrait le même qu’alors. Mais combien mes sentiments, mes espérances et mes alentours sont changés ! À force de voir des hommes libres et heureux, je croyais pouvoir le devenir : l’insouciance et la solitude de tout un été m’avaient redonné un peu de forces. Je n’étais plus épuisé par l’humeur des autres et par la mienne. Deux mois passés à Beausoleil, trop malade en général (quoique pas de manière à en souffrir) pour qu’on pût s’attendre à beaucoup d’activité de ma part, trop retiré pour qu’on me tourmentât souvent, me disant toutes les semaines : Je monterai à cheval et j’irai à Colombier, – j’avais goûté le repos : deux mois ensuite passés près de vous, j’avais deviné vos idées et vous aviez deviné les miennes ; j’avais été sans inquiétudes, sans passions violentes, sans humeur et sans amertume. La dureté, la continuité d’insolence et de despotisme à laquelle j’ai été exposé, la fureur et les grincements de dents de toute