Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils pas à Paris ? Tes grâces, tes talents y seront admirés comme ils doivent l’être. On a peint ta grâce enchanteresse[1], mais qui peut peindre ce qui te fait remarquer ? – Mon ami, c’est à l’amitié que je confie cela : je suis honteuse pour Sidonie, car je connais sa modestie ; vous savez qu’elle n’est pas vaine : j’ai donc des raisons plus essentielles pour elle qu’une misérable vanité pour vous prier de faire faire ces vers, et bientôt : dites surtout qu’elle est dans la retraite, et qu’à Paris seulement on est apprécié. Tâchez qu’on ne vous devine pas. Faites imprimer ces vers dans le journal du soir… Envoyez-moi bien vite le journal où cela sera imprimé… Si le journal ne voulait pas s’en charger ou qu’il tardât trop, envoyez-moi-les écrits à la main, et on les insérera ici dans un journal… » Puis vient le prêté-rendu, la récompense offerte au bon docteur, la promesse de contribuer à lui faire acquérir en retour cette réputation que méritent ses talents et ses vertus : « Oui, digne et excellent homme, j’espère bien y travailler ; j’attends avec impatience le moment où, rendue à Paris, mon temps, mes soins et mon zèle vous seront consacrés : vous me ferez connaître La Harpe, auprès duquel est déjà un de vos amis. Je travaillerai auprès de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, d’une foule d’étrangers de ma connaissance, et nous réussirons, car les intentions pures réussissent toujours. »

Là est surtout ce qui me choque, le jargon de pureté et de piété qui se mêle à de tels manèges. C’est, je le répète, ce qui m’effraie un peu pour l’avenir de Mme de Krüdner : lorsqu’on s’est livré une fois à de pareilles combinaisons et qu’on y excelle, est-on bien sûr, même en changeant de matière, de se guérir jamais ? M. Eynard est de ceux qui croient qu’il y a un remède efficace et souverain par qui l’homme vraiment se régénère et parvient à se transformer

  1. Mme de Staël, dans le roman de Delphine, qui venait de paraître.