Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/311

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ces pauvres pécheresses, la promesse qu’elle leur fit de les revoir, et aussi son oubli d’y revenir. M. Eynard s’autorise, à cet endroit, du témoignage de M. de Gérando, qui avait conduit Mme de Krüdner à Saint-Lazare, et il me réprimande doucement du sourire que j’ai mêlé à mon éloge ; mais cette critique, qu’il le sache bien, ce n’est pas moi qui l’ai faite : c’est M. de Gérando lui-même, qui, interrogé par moi, me répondit en ce sens. Il y a différentes manières d’interroger les témoins, même les plus véridiques. Quand j’interrogeai M. de Gérando sur Mme de Krüdner, cet homme de bien me répondit comme à une personne qui ne désirait à l’avance aucune réponse plus ou moins favorable, et qui se bornait à écouter avec curiosité. Quand M. Eynard l’interrogea, M. de Gérando vit en sa présence une personne qui désirait avant tout savoir tout le bien, et lui-même (qui d’ailleurs par nature souriait peu) il supprima son sourire. C’est ainsi que M. Eynard range parmi ses autorités bien des témoins qui faisaient leurs réserves, et qui même n’épargnaient pas la raillerie quand il leur arrivait de causer en liberté. La duchesse de Duras, qu’il a l’air de ranger parmi les adhérents, était de ce nombre. – Dans le récit que j’ai fait du voyage de Mme de Krüdner en Champagne, pour la grande revue de la plaine de Vertus, M. Eynard me suppose plus d’imagination que je n’en ai en réalité ; il se croit trop sûr de m’avoir réfuté à l’aide du Journal de Mme Armand. J’ai pour garant de mon récit un témoin oculaire, très-spirituel, appartenant à la famille chez qui Mme de Krüdner avait logé pendant le peu d’heures qu’elle passa en ces lieux. Ce peu d’heures avait tout à fait suffi pour que la prédication commençât auprès des hôtes. Les personnes enthousiastes qu’un beau zèle anime n’y mettent pas tant de façons. A peine arrivée le soir au château où elle devait coucher, Mme de Krüdner et son monde se mirent donc à prêcher et le maître et les gens ; et, comme il y avait menace d’orage ce soir-là, le bon gentilhomme de campagne, qui craignait que le vent n’enlevât