Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/32

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reste n’a été, en quelque sorte, que prélude et acheminement ; la vraie grandeur de l’idylle commence à cet endroit :

« Mais moi et Eucrite, et le bel enfant Amyntas, ayant poussé jusqu’à la maison de Phrasidame, nous nous couchâmes à terre sur des lits profonds de doux lentisque et dans des feuilles de vigne toutes fraîches, le cœur joyeux. Au-dessus de nos têtes s’agitaient en grand nombre ormes et peupliers ; tout auprès, l’onde sacrée découlait de l’antre des Nymphes en résonnant. Dans la ramée ombreuse les cigales hâlées s’épuisaient à babiller ; l’oiseau plaintif (on ne sait pas bien duquel il s’agit) faisait de loin entendre son cri dans l’épais fourré des buissons ; les alouettes et les chardonnerets chantaient, et gémissait la tourterelle ; les blondes abeilles voltigeaient en tournoyant à l’entour des fontaines. Tout sentait en plein le gras été, tout sentait le naissant automne. Les poires à nos pieds roulaient, et les pommes de toutes parts à nos côtés. Les rameaux surchargés de prunes versaient jusqu’à terre. Les tonneaux de quatre ans lâchaient leur bonde. Nymphes de Castalie, qui occupez la hauteur du Parnasse, dites, est-ce d’un cratère de pareil vin que le vieillard Chiron fit fête autrefois à Hercule dans l’antre de Pholus ? Et ce pasteur des rives d’Anapus, le puissant Polyphème, qui lançait des quartiers de montagne aux vaisseaux d’Ulysse, dites, quand il se prit à danser à travers ses étables, est-ce qu’il était poussé d’un nectar pareil à celui que vous nous versâtes ce jour-là, ô Nymphes, autour de l’autel de Cérès, gardienne des granges ? Sur son monceau sacré, oh ! puissé-je une autre fois planter encore le grand van des vanneurs, et voir la déesse sourire, tenant dans ses deux mains des gerbes et des pavots ! »

Que vous en semble maintenant ? Quelle royale et plantureuse abondance ! quelle plus magnifique définition de cette saison des anciens (dpôra [Grec]), qui n’était pas le tardif au-