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contracter un goût constant pour la philosophie, et qu’il prit l’habitude d’employer pour son propre compte les procédés analytiques recommandés dans l’école expérimentale.

Cette impression si vive, cette émotion presque passionnée qu’il est assez rare d’éprouver en entrant dans une classe de philosophie, il l’a rendue plus tard en quelque manière dans la personne de son Abélard[1] entrant pour la première fois dans l’école du cloître ; mais Abélard, du premier jour, y entrait en conquérant, pour détrôner Guillaume de Champeaux, et lui il resta d’abord, et encore assez longtemps après, le disciple fervent et condillacien de cette première école. Ce ne fut qu’à quelques années de là qu’il se retourna contre elle. Et même lorsqu’il l’eut abandonnée, même depuis qu’il a marqué si haut sa place parmi les défenseurs d’un autre système, prenez garde ! si on insiste sur de certains points, si on appuie, on retrouve aisément en lui un fond de philosophie du xviiie siècle.

On ne retrouve pas moins, à l’occasion, un ancien fond de libéralisme beaucoup plus net et plus marqué, s’il m’est permis de le dire, que chez aucun des hommes distingués qui ont passé par la nuance doctrinaire. C’est que M. de Rémusat à son début, et de 1814 à 1818, fut d’abord un libéral pur et simple, sans tant de façons. Sur ce fond solide et uni il a, depuis, brodé toutes sortes de délicatesses ; un esprit comme le sien ne saurait s’en passer. Mais dès qu’on se met à appuyer, dès qu’une circonstance le presse, la fibre première a tressailli : on a l’ami franc et résolu de la liberté et le philosophe qui tire la pensée comme une arme, en jetant le fourreau.

Dans toute nature éminente, pour la bien connaître, l’étude des origines et de la formation importe beaucoup ; ici elle est plus essentielle que jamais, quand il s’agit de quel-

  1. L’Abélard du drame.