Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/334

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grande et salutaire influence. Nous avons dit que cette influence se ferait surtout sentir dans cette jeune génération, l’espoir de la France, qui naît aujourd’hui à la vie politique, que la Révolution et Bonaparte n’ont ni brisée ni pervertie, qui aime et veut la liberté sans que les intérêts ou les souvenirs du désordre corrompent ou obscurcissent ses sentiments et son jugement, à qui, enfin, les grands événements dont fut entouré son berceau ont déjà donné, sans lui en demander le prix, cette expérience qu’ils ont fait payer si cher à ses devanciers. Qu’il nous soit permis d’apporter ici, à l’appui de notre opinion, un exemple que nous ne saurions nous empêcher de trouver fort remarquable ; c’est le petit écrit qu’a inspiré à un jeune homme la lecture de l’ouvrage de Mme de Staël ; sans doute les semences que contient cet ouvrage trouveront rarement une terre aussi promptement, aussi richement féconde. Mais l’exemple n’en a que plus de valeur ; ce qui a pu exciter dans un esprit naturellement distingué tant d’idées saines, tant de sentiments nobles, ne manquera pas, à coup sûr, de les propager dans un grand nombre d’autres esprits. Ces sentiments et ces idées forment déjà notre atmosphère morale, et il faut que les gouvernements s’y placent aussi, car, hors de là, il n’y a point d’air vital. »

Suivaient les pages sur la Révolution française qu’on peut lire en partie reproduites au tome Ier des Mélanges[1]. L’article fit du bruit, et même un peu de scandale, dans les cercles où vivait le jeune auteur. Il y avait à cela plusieurs raisons, et non pas toutes frivoles. Le fils jugeait l’Empire, et ses parents l’avaient servi. Depuis la Restauration, M. de Rémusat père était préfet, le fils lui-même semblait destiné alors à une carrière au sein de l’ordre établi[2]. Juger de si haut le régime d’hier, tracer si décidément la marche à celui d’aujourd’hui, c’était une grande hardiesse assurément dans un jeune homme. Et puis faire un article de journal ! passe encore si c’eût été une chanson. En revanche, M. Auguste de Staël cherchait, pour le remercier, l’admirateur

  1. Pages 92-102.
  2. M. Molé, à ce moment ministre de la marine, l’avait admis à travailler dans la Direction des Colonies.