Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

met peu de bonne volonté. En résumé, tous les procès-verbaux du monde publiés ou inédits ne prouveront jamais : 1° que les États de 1593 n’aient pas été la Cour du roi Petaud ; 2° que la Satyre Ménippée n’ait pas été bien et dûment comparée (toute proportion gardée) à la bataille d’Ivry, non pas si vous voulez à la troupe d’avant-garde, mais à cette cavalerie qui, survenant toute fraîche le soir d’une victoire, achève l’ennemi qui fuyait.

Au moment où Henri IV fit son entrée en ce Paris longtemps rebelle, à ce beau jour du printemps de 1594, il y eut un essaim de grosses abeilles qui sortit on ne sait pas bien d’où, et peut-être, comme on croit, d’un coin de la Cité, d’auprès le jardin de M. le Premier Président ; elles marchaient et voletaient devant les lys[1], donnant au visage et dans les yeux des ligueurs fuyards : ce fut la Ménippée même. Les lis alors étaient d’accord avec l’honneur et avec l’espoir de la France. Depuis, quand ils méritèrent d’être rejetés, un autre gros d’abeilles se vit, qui piqua en sens inverse et les harcela longtemps avec gloire : à deux siècles de distance, le rôle national est le même ; la Ménippée et la chanson de Béranger sont deux sœurs.

Viendra-t-on maintenant nous préconiser le Dialogue du Maheustre et du Manant, l’opposer rationnellement, comme on dit, à la Ménippée, lui subordonner celle-ci, en insinuant qu’elle ne devrait reparaître qu’à la suite et dans le cortège de l’autre ? En France, tant qu’il y aura du bon sens, de telles énormités ne se sauraient souffrir. Ce pamphlet du

  1. Et si l’on trouvait que je vais bien loin, en appliquant cette gracieuse image à une production quelque peu rabelaisienne, qu’on se rappelle, entre autres, ce riant et beau passage : « Le Roy que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vrai parterre des fleurs de lys de France, rejeton droit et verdoyant du tige de saint Louis. Ceux qui parlent d’en faire un autre se trompent et ne sauroient en venir à bout : on peut faire des sceptres et des couronnes, mais non pas des roys pour les porter ; on peut faire une maison, non pas un arbre ou un rameau verd… »