Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littéraire à part qu’il mérite dans l’histoire de ces années, nous espérons bien le lui consacrer à loisir ; mais aujourd’hui, c’est un peu trop fête pour cela, et il y a trop de distractions alentour. Ce qui l’a distingué de bonne heure, ç’a été le talent de généraliser et de peindre les idées critiques ; il y met dans l’expression du feu, de la lumière, et une verve d’élégante abondance. Son morceau sur Lesueur doit se classer en ce genre comme le chef-d’œuvre de sa maturité. Quant à ses Scènes de la Ligue, elles eurent leur à-propos et leur hardiesse dans la nouveauté, et elles ont gardé de l’intérêt toujours. La censure d’alors interdisant au drame tout développement historique un peu vrai et un peu profond, on se jeta dans des genres intermédiaires, on louvoya, on fit des proverbes et des comédies en volume ; c’est ce qui s’appelle peloter en attendant partie : je ne sais si la partie est venue, ou plutôt je sais comme tout le monde qu’au théâtre elle n’a pas été gagnée. M. Vitet, au reste, se hâtait de déclarer, à l’exemple du président Hénault, qu’il ne prétendait nullement faire œuvre de théâtre ; il ne voulait que rendre à l’histoire toute sa représentation exactement présumable et sa vivante vraisemblance. Ce genre-là, tel que je me le définis, c’est une espèce de vignette continue qui règne au bas du texte, et qui sert à illustrer véritablement le récit. Le président Hénault et Rœderer l’avaient déjà tenté ; le premier, qui ne nous paraît grave à distance qu’à cause de son titre de magistrat et de sa Chronologie, mais qui était certes le plus dameret des historiens et l’homme de Paris qui soupait le plus[1], se trouvait être avec cela un homme vraiment d’esprit, et la préface de son François II fait preuve de beaucoup de liberté d’idées. Il eut

  1. On sait les vers de Voltaire. – Voir encore sur lui le jugement de d’Alembert et ses propres lettres dans le volume intitulé Correspondance inédite de madame Du Deffand (2 vol., 1809) ; l’opinion de d’Alembert sur le président s’y peut lire au tome I, pages 232 et 251.