Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/534

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laissait libre et sans bruit la salle du conseil, qui précédait immédiatement la chambre du lit, et cet arrangement était raisonnable. Cependant MM. les capitaines des gardes, et nommément M. de Beauvau et M. le duc d’Ayen, s’en formalisèrent d’une manière qui me parut ridicule ; car ce changement, en procurant plus de tranquillité au roi, n’attentait nullement à leurs droits, et ne les confondait pas avec plus de monde, puisque la chambre où l’on plaçait leurs entrées était interdite à tous ceux qui ne les avaient pas. M. de Beauvau, d’ailleurs très-facile à vivre dans l’ordre ordinaire de la société, est ce qu’on appelle susceptible dans les choses qui tiennent à sa charge.

Cependant il était midi, et les médecins venaient d’arriver. On appela à la fin la garde-robe, et nous trouvâmes le roi entouré d’une foule de médecins et de chirurgiens, les questionnant avec une faiblesse et une inquiétude inexprimables sur la marche de sa maladie, sur leur opinion de son état, et sur les remèdes qu’ils lui donneraient dans tel ou tel cas. Les médecins le rassuraient, caractérisant sa maladie de fièvre catarrheuse ; mais ils montraient plus d’inquiétude dans la manière dont ils le traitaient que dans leurs paroles. Ils avaient déjà annoncé qu’ils feraient une seconde saignée à trois heures et demie, et même une troisième dans la nuit, ou dans la journée du lendemain, si la seconde ne débarrassait pas le mal de tête, le roi, dont les questions répétées avaient poussé les médecins à lui faire cette réponse, s’en montrait fort mécontent. « Une troisième saignée, disait-il, c’est donc une maladie ! Une troisième saignée me mettra bien bas, je voudrais bien qu’on ne fit pas une troisième saignée. Pourquoi cette troisième saignée ? » Les rois ne peuvent rien dire qui ne soit répété et même interprété. Ses propos sur la troisième saignée coururent bientôt Versailles. Ils nous avaient frappés en les entendant ; ils firent le même effet sur tous ceux qui les apprirent, et le sentiment général fut de conclure qu’une troisième saignée prouverait au roi qu’il était bien malade, et le déterminerait au renvoi de Mme Dubarry. Ici on avait toujours entendu dire qu’une troisième saignée devait faire recevoir les sacrements ; et, suivant la disposition favorable ou contraire à la maîtresse, chacun craignait ou espérait de la voir ordonner. Comme le parti de ceux qui désiraient l’expulsion de Mme Du-