Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/128

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avait été souvent peu gracieux de sourire et peu caressant de langage, un dévouement sérieux, sombre, empressé et fatigué. Lorsqu'après les premières secousses nous reprîmes une vie régulière, et que je rentrai en moi pour me sonder et m'examiner, il se trouva que ma disposition intérieure s'était défaite toute seule ; je n'en étais déjà plus à cette scène merveilleuse de la falaise, à cette sainte promesse, au milieu des larmes de rester à jamais donné et voué ; mon éternelle pensée d'esclave qui veut fuir m'était revenue : elle m'était revenue insensiblement par la simple prédominance de mon activité en ces derniers temps, par l'atmosphère de ces lieux nouveaux où chaque haleine qu'on respire convie à l'ambition ou aux sens et aussi par ce que j'avais cru entrevoir chez madame de Couaën de son indifférence et de son invincible ravissement en d'autres pensées plus légitimes. Me sentir ainsi relégué dans son cœur à une place qui n'était ni la première, ni la seconde, mais la cinquième peut-être ! il y avait là un calcul intolérable ; pourquoi le faisais-je ? Et c'est ce qu'on n'élude pourtant pas, c'est ce qui se pose à chaque minute devant nous en ces espèces d'amitiés. Je me disais donc en me sondant, qu'il fallait aller jusqu'au bout, servir loyalement et sans idée de récompense ; puis, M. de Couaën une fois rendu à la liberté, reprendre la mienne et me lancer seul sur ma barque à l'aventure. En attendant, je jouissais de mon mieux des heures tardives et des longs entretiens. Quant à elle, elle était bien ce que je vous ai dit ; ce lac où je vous l'ai figurée était son parfait emblème.

Elle avait certes une masse de sensibilité profonde, le plus souvent flottante et sommeillante, quelquefois bizarrement soulevée sur un objet, et y faisant alors idée fixe, passion, avec tous les accidents, toutes les distractions et l'aveuglement naïf de la passion et cette belle ignorance du reste de l'univers. je l'avais déjà