Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/139

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jour quelque particularité de plus sur notre double nature, sur l'abus que je faisais de l'une et de l'autre, sur le secret même de leur union. Science stérile toute seule et impuissante ; instrument et portion déjà du châtiment ! Je comprends mieux ce qu'est l'homme, ce que je suis et ce que je laisse derrière, à mesure que je m'aguerris et m'enfonce davantage en ces sentiers qui mènent à la mort.

J'appris d'abord dans mes courses lascives, à discerner, à poursuivre, à redouter et à désirer le genre de beauté que j'appellerai funeste, celle qui est toujours un piège mortel, jamais un angélique symbole, celle qui ne se peint ni dans l'expression idéale du visage, ni dans le miroir des yeux, ni dans les délicatesses du sourire, ni dans le voile nuancé des paupières : le visage humain n'est rien, presque rien, dans cette beauté ; l'oeil et la voix qui, en se mariant avec douceur, sont si voisins de l'âme, ne font point partie ici de ce qu'on désire : c'est une beauté réelle, mais accablante et toute de chair, qui semble remonter en droite ligne aux filles des premières races déchues, qui ne se juge point en face et en conversant de vive voix, ainsi qu'il convient à l'homme, mais de loin plutôt, sur le hasard de la nuque et des reins, comme ferait le coup d'oeil du chasseur pour les bêtes sauvages : oh ! j'ai compris cette beauté-là.

J'appris aussi combien cette beauté n'est pas la vraie ; qu'elle est contraire à l'esprit même ; qu'elle tue, qu'elle écrase, mais qu'elle n'attache pas ; qu'en portant le plus de ravages dans les sens, elle est celle qui a le moins d'auxiliaires dans l'âme. Car, à travers ces courses malfaisantes, du plus loin que se dénonce une telle beauté, comme on tremble ! comme on pâlit ! la sueur m'inonde :

Vais-je m'élancer ou vais-je défaillir ? - Un peu de patience, à mon Ame ! remets-toi et dis à ce corps qui frémit : “ Cette beauté mauvaise, à qui tu veux te