Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/167

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point à passer souvent. En croisant aux environs de ces lieux, pendant des heures suffisantes, je finirais certes par le rencontrer une fois, et j'étais bien sûr de le reconnaître.

Quelque simple et fondé que fût mon raisonnement, l'exécution me coûta de longs efforts de patience, et, durant près d'une semaine, j'eus à courir d'insipides bordées dans cette croisière. Toutes mes heures de liberté y allaient : on s'était aperçu déjà chez mes amis et on me faisait reproche de mes visites inquiètes, abrégées ; j'épuisais les prétextes. Je vis bientôt qu'à moins d'un jour tout entier employé à cette attente, il y avait pour moi trop peu à en espérer. Ayant donc prévenu mes amis de cette absence d'un jour entier, que je motivai comme je pus, me voilà aiguisant mon regard et ma vigilance. Ce ne fut que le soir de cette lente journée, à la brune, au moment où les travaux cessent et où les ouvriers et les femmes du peuple, en rentrant, produisent un certain mouvement inaccoutumé sur ces places et dans ces rues solitaires, ce fut seulement alors que je distinguai du commun des passants un homme de belle stature et d'une démarche heureuse. A l'instant je me dirigeai du mieux possible pour le voir venir en face, puis je me mis à le suivre quelque temps, confondu avec d'autres qui nous traversaient ; je le dépassai sans affectation en le coudoyant presque, je me laissai dépasser à mon tour. Plus de doute ; c'était bien le guide que je cherchais, c'était l'héroïque brigand, l'adversaire à mort de César. Arrivés à un coin où nous nous trouvâmes à peu près seuls, je m'avançai rapidement vers lui : “ Général... ”, lui dis-je en le saluant. Il tressaillit et son geste fut comme de porter la main à quelque arme cachée. Le nom de M. de Couaën, que je jetai à la hâte, et la circonstance rappelée de notre précédente rencontre, réparèrent en un clin d'oeil la brusquerie. Le marquis d'ailleurs avait parlé de moi au général en le reconduisant. Je m'ouvris sans