Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/179

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té rendue depuis déjà plusieurs mois ; mais, ce jour-là, elle s'était mise, au réveil à la rouvrir par hasard, et jusqu'à l'heure où j'arrivai elle n'avait pas quitté, oubliant de s'habiller et de descendre.

Une lettre avait succédé à une autre ; les scènes, les joies et les transes d'autrefois étaient sorties une à une de ce coffret odorant comme une guirlande dès longtemps fanée, comme cette garniture du premier vêtement nuptial, qui y avait été en effet renfermée et qui en sortait à demi. Les années de la famille, de la patrie et du virginal amour, s'étaient levées et avaient fait cercle autour d'elle. Lorsque j'entrai, elle ne se dérangea point et demeura sous l'émotion où elle était, les yeux humides, la tête renversée contre un coussin, une lettre sur ses genoux, et ses bras dans l'abandon. Elle me permit de toucher de mes mains ces lettres sacrées ; elle m'en expliquait les circonstances et les occasions pleines d'alarmes. Je pus même en lire deux ou trois de lui à elle, mais pas une seule d'elle à lui ; elle s'y opposa dans sa pudeur. J'admirai le ton de cet amour frémissant et soumis chez un homme dont les portions opposées du caractère m'étaient si connues. Les lettres qu'il m'arriva de lire portaient précisément sur de tendres promesses qu'il faisait de contenir son ressentiment à l'égard du frère de Lucy, et en général de s'abstenir de mouvements trop altiers ; car elle lui avait reproché, à ce qu'il semblait, son dédain amer des autres hommes et l'opiniâtre orgueil du sang. Comme je finissais de lire à demi-voix la lettre, et qu'apercevant à terre cette garniture nuptiale dont j'ai parlé, je lui demandais de l'emporter en gage de la confidence inviolable, elle consentit d'un signe sans avoir l'air d'y répondre ; et, en même temps, se fiant tout entière à l'état clément de mon âme, elle me disait :

« Bientôt, quand M. de Couaën va être sorti, oh ! nous serons paisibles alors et réunis pour longtemps.