Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le bois étant presque dépouillé et la dernière feuille tremblante n'attendant plus que la prochaine bise, on dût laisser Auteuil pour Paris. Le marquis avait obtenu de choisir sa maison de santé sur un boulevard voisin de notre faubourg.

Madame de Couaën se réinstalla au petit couvent, à sa grande satisfaction et à celle de madame de Cursy, des enfants et de tout le monde. Notre manière de vivre se trouva donc peu changée. Seulement (est-il temps de l'avouer ici ?) L'absence de la jeune dame R. fut cause que je la remarquai davantage quand elle vint. Si elle demeurait jusqu'au soir, je la reconduisais d'ordinaire jusque chez elle ; et, en la quittant pour retraverser seul cette mer trop connue où je m'abandonnais, une voix moqueuse me rappelait tout bas, d'un ton de mondaine sagesse, que j'étais las à l'excès de l'amitié sans la possession et de la possession sans amour. J'avais beau éviter de peser sur l'idée perfide, il m'arrivait, chaque fois que la visite avait lieu, de regarder plus volontiers du côté de cette faible étoile qui brillait dans les yeux de madame R.

Un jour où l'on était réuni chez madame de Couaën, celle-ci présente et d'autres personnes encore qui s'entretenaient, je m'approchai de madame R., qui était debout dans l'embrasure d'une croisée, et je lui demandai, par manière de compliment, des nouvelles d'une jeune amie de province dont elle nous parlait quelquefois et à qui elle racontait sa vie : " Savez-vous ce que cette petite personne s'avisait hier de m'écrire ? dit-elle ; elle s'informe à toute force de ce que devient mon ami M. Amaury ! ”

— “ Eh ! quoi ? ne sommes-nous pas amis en effet ? répliquai-je ; puisque vous en doutiez, convenons d'aujourd'hui que nous le sommes ” ; et je lui offris la main pour sceller l'engagement : elle y mit la sienne en répétant mes derniers mots. Ceci se passait sans affectation, et les yeux qui auraient aperçu le geste n'auraient