Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/201

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laissent ni une goutte désaltérante ni un brin d'herbe fraîche derrière eux ! Et combien mon ami, une pensée douce et juste, un seul chaste souvenir dilaté dans l'absence, une maxime saine refleurie en nous sur les coteaux solitaires remplissent mieux tout un jour que ces conflits dévorants !

Au réveil, comme je me disposais à m'aller informer près de M. R., une ordonnance m'apporta de sa part l'avis que la translation à Blois était signée. Je ne le vis pas moins à son ministère, et je passai de là chez M. D... Il fut réglé avec ce dernier que le départ se ferait de la cour de la Conciergerie le surlendemain vers six heures du soir, dans une chaise ordinaire ; un lieutenant de gendarmerie y occuperait une place jusqu'à la destination. Ces soins conclus j'étais de retour avant midi à mon rendez-vous du couvent, et madame de Couaën et moi nous partions, emmenant les enfants qui nous en priaient avec larmes. Le ciel était beau et la gelée rayonnait sous le soleil. Nous nous fîmes descendre à l'entrée des Tuileries et nous y marchâmes lentement le long des terrasses égayées. En parlant de ce douloureux départ, je ne pus ou ne daignai pas dissimuler comme la veille, et, d'après plusieurs de mes réponses, il fut aisé à madame de Couaën de comprendre que je n'étais point du tout certain de m'attacher à leur avenir de là-bas. Elle s'offensait à bon droit d'une résolution si vacillante, elle interrogeait opiniâtrement mes motifs, et ne craignait pas de se dénoncer à mes yeux avec son incurable besoin d'être aimée, - d'être aimée uniquement comme par sa mère, disait-elle ; - et je lui répliquais plus en face que jamais : “ Et vous, aimeriez-vous donc uniquement ? ” Et comme son cercle éternel était : “ Mais vous êtes bien venu avec nous jusqu'ici ; pourquoi n'y viendriez-vous pas encore ? pourquoi, si ce n'est parce que vous ne nous aimez plus autant ? ” poussé alors dans mes derniers refuges, ,