Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parti qui avaient cessé de dédaigner ce service de périls et d'honneur. Les saluts légers que les sabres nus adressaient, en défilant, aux femmes des estrades et des balcons, nous allaient au cœur. Pourquoi n'étais-je pas là en bas pour passer aussi à la tête des miens, déjà décoré et glorieux, pour la saluer de l'éclair de l'épée, et pour qu'elle me reconnût et me montrât d'une main sans effort qui prend possession, d'un geste qui veut dire à tous : Il est à moi !

J'étais ébranlé ; je rongeais mon frein, comme un coursier immobile qui entend des escadrons : “ Oh ! avant ces derniers événements, répondais-je, que c'eût été là ma place et mon vœu ! mais après, maintenant, comment est-ce possible ? Après d'Enghien, - après Georges, jamais ! ” Et je baissais la tête comme un vaincu obscur ; elle gardait le silence, et le reste de la fête se passait jalousement. Au théâtre, à la représentation des opéras les plus recherchés, C'était de même. Moi, j'y aurais volontiers été heureux ; mais, elle, témoin des élégances et des triomphes de son sexe, voyant quelquefois une salle entière se lever et applaudir idolâtrement à l'arrivée tardive des femmes, Reines alors de la beauté, elle tombait à son tour en jalousie et en tristesse. Au lieu d'être à nous seuls et enivrés dans ces loges étroites où sa tante, bien que présente, nous interrompait à peine, et qui semblaient comme une image exacte de notre situation en ce monde, isolés que nous étions, à demi obscurs, pas trop mal à l'aise et voyant sans être vus, - au lieu de cela, nous nous regardions avec souffrance et des pleurs d'envie qui n'étaient pas pour nous. Etait-ce donc là de l'amour ?

Ce n'était guère de ma part qu'un goût vif, né de l'occasion prolongée, d'une convenance apparente, et de ce projet que je formais, hélas ! de ne plus dédoubler mon âme et mes sens ; C'était de sa part une langueur affectueuse assaisonnée de vanité. Nous n'avancions qu'à l'aide