Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/262

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de passer outre, qui suspend et neutralise, qui, chassé de notre chair, se réfugie dans nos os, et nous brise, et gémit !

Je me serais pourtant décidé, je le crois bien, à partir pour Blois sans prévenir madame R. à l'avance, sans obtenir congé d'elle, et en écrivant simplement un soir que j'avais pris sur moi, malgré tout, de me condamner à cet exil de huit jours : mais une lettre du marquis, cachetée en noir, me dispensa cruellement de plus d'effort ; le marquis m'y apprenait la mort subite de son fils, et, muet sur la profondeur de sa blessure, il m'y parlait de sa femme et de l'état alarmant où ce coup l'avait réduite, me chargeant de réclamer pour lui une permission de retour et de séjour d'une quinzaine à Paris : il voulait la dépayser dans ces premiers instants de la douleur et consulter aussi les médecins. Je courus à M. D..., qui en fit son affaire près du ministre Fouché, et l'ordre fut expédié de la police en même temps que ma lettre d'annonce au marquis.

Cet enfant, que nos amis venaient si amèrement de perdre, était l'aîné de sa sœur ; il avait au moins sept ans accomplis, étant né en Irlande même, à Kildare, avant l'arrivée en France des époux. Ses qualités précoces librement développées et une pénétrante beauté intérieure faisaient de ce jeune Arthur un être rare, une créature doublement précieuse. D'une complexion blanche, aux yeux, aux cheveux noirs, le front aisément caressé des songes, d'un naturel très réfléchi et très sensible, il tenait de sa mère et de sa grand-mère, de cette lignée aimante des O'Neilly. Il était même empreint, au bas du cou, d'un signe de naissance que sa grand-mère seule avait eu, et dont sa mère n'avait pas hérité. Madame de Couaën m'en fit la remarque un jour qu'elle le déshabillait et l'embrassait sur ce signe avec émotion et respect. Sa jeune sœur au contraire, toute Lucy qu'elle était et que sa marraine madame de Cursy l'avait appelé