Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/266

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abord séparément. Avec lui, dès que j'eus osé toucher l'immense plaie, je fus interrompu par un geste négatif, irrévocable ; je balbutiai et n'essayai pas de poursuivre. Il y avait, je le sentis aussitôt, dans sa douleur plus que celle d'un père pour son enfant ; il y avait l'idée d'enfant mâle, de premier.

Né ravi, le deuil du nom éteint, quelque chose de blessé autre part encore qu'aux entrailles, une portion d'amertume non avouable parce qu'elle avait sa source dans l'antique préjugé plus avant que dans la nature ; et nulle consolation dès lors ni même aucun langage possible à ce sujet. Il aimait sa fille, sa fille si semblable à lui dans une saison si tendre, si forte image traduite en gentillesse et en beauté, mais elle ne remplaçait rien à ses yeux ; un fils seul pouvait lui cacher le vide des ténèbres. Etait-il homme à en désirer un encore, à recommencer une espérance ? Si les médecins le rassuraient sur la santé de madame de Couaën, si, dans son orgueil de race, il venait à redemander l'espoir d'un héritier mâle à la mère d'Arthur... en cet éclair, mon front se couvrit de honte, et je souhaitai que les médecins la trouvassent mal, la jugeassent atteinte de mort.

Elle était mal en effet ; le jour me la montra plus douloureuse et affaiblie. Elle du moins, elle était toute mère et rien que mère ; elle me parla la première de son fils, se rejeta en pleurant sur sa fille qu'elle baisait, et qui, debout et morne, semblait porter toute cette affliction et contenir, pauvre enfant ! la sienne. Un mot de madame de Couaën me révéla sous sa plaie vive le ravage d'une mélancolie bien profonde : “ Ce coup, disait-elle, était un châtiment mérité pour avoir désiré quelque chose hors du cercle tracé, hors de la famille, et elle avait été frappée au-dedans comme par un rappel sévère. " Je voulus vainement combattre cette interprétation qui me parut lugubre et qui n'était que rigoureusement chrétienne, mais elle n'avait pas de pensées à