Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/272

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je demandai à mademoiselle Amélie la permission de l'aller saluer ; et nous rentrâmes, - chacun, hélas ! avec quelle charge accrue et quelle rude moisson de pensées !

Le soir même de cette promenade, comme nous étions réunis chez madame de Couaën et que madame R. et sa tante venaient d'arriver, la conversation s'engagea entre le marquis et moi sur la politique. Il parlait, avec un redoublement d'âcreté, de l'Empire, de cette mystification insolente, et de l'immense ruine que la hauteur de l'échafaudage préparait. d'ordinaire, quand le marquis s'échappait de ce côté, je courbais la tête à son aquilon, et respectais, sans essayer de l'entamer, cette conviction orageuse où tournoyait une âme inexpugnable ; mais ce soir-là, soit que ses préventions me parussent plus énormes et insoutenables, surtout à la suite de cette clémence et de cette justesse d'idées de madame de Couaën soit que la présence de madame R. introduisît quelque aigreur et une pointe d'amour-propre dans mon impression, sans que je pusse m'expliquer comment, je me trouvai, après quelques minutes, en contradiction ouverte avec lui. Je ne justifiais pas l'Empire ; j'alléguais seulement sur l'éclat de ses armes, sur sa force, sa solidité actuelle et ses bases suffisantes dans la nation des raisons assez évidentes, et si évidentes même qu'elles me donnaient trop aisément le rôle du clairvoyant et du sage. Mais je disais tout cela d'un ton contrariant, d'un air d'impatience et de révolte, et c'était la première fois qu'avec le marquis pareille chose m'arrivait. Etonné de cette forme nouvelle contentieuse dont je m'étonnais pour le moins autant que lui, il enraya son ardente invective et entra avec une douceur singulière et une netteté soudaine dans la discussion que je lui ouvrais, me surprenant à chaque instant par ce mélange de haine aveugle et de condescendance, et par la fermeté, la pé