Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/293

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l'autre les plus grandes douleurs ? ” Mais ces paroles pompeuses mentaient encore : entre nous deux c'était pis et moins que les luttes terrestres de l'amour ; ce n'étaient pas même les feux errants de son venin et les rixes de ses jalousies.

A d'autres jours plus calmes, et quand je reprenais quelque peu le plan d'abord formé de délier avec douceur, assis près d'elle dans une causerie indulgente, je m'interrompais bien souvent pour lui dire :

« Quoi qu'il arrive de moi, que je continue de vous voir toujours ou que je cesse entièrement et ne revienne jamais, croyez bien à mon affection pour vous, inaltérable et vraie, et à mon éternelle estime. ” Ce mot d'estime, qui n'était que ma juste pensée, la faisait me remercier vivement et pleurer de reconnaissance. Mais toutes ces émotions répétées laissaient en elle des atteintes ineffaçables. Avant mes excès, elle n'admettait pas l'idée d'une rupture, quand par hasard j'en jetais en avant le mot : désormais évidemment elle commençait à la craindre, à la croire en effet possible, à la désirer même en certains moments.

Mon ami, ne jugez pas que je vais trop loin dans mes aveux, que je souille à dessein le tableau pour en éteindre le premier attrait et rendre le tout plus odieux qu'il ne convient. Mon ami, ce que j'ose vous dire, n'est-il pas arrivé également à beaucoup ? Ne suis-je pas plutôt resté en deçà du grand nombre des misères cachées ? N'est-ce pas là l'ordinaire déchirement de tant de liaisons mondaines les plus décevantes, même parmi les classes les plus enviées ? On voit les fêtes où glisse un couple volage, le devant des loges où il se penche, un air d'aimable accord des manières éprises, des sourires piquants à la face du monde, les promenades et les chasses du matin dans les bois, toute cette gracieuse montée de la colline. Les adolescents qui passent au bas des terrasses retentissantes de rires ou d'harmonie,