Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/325

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Heureux et sage qui peut séparer la pulpe mûrie de la cloison amère ; qui sait tempérer en silence Jérôme par Ambroise, Saint-Cyran par Fénelon ! Mais cet esprit contentieux, qui avait promptement aigri tout le Jansénisme au dix-huitième siècle, était moins sensible ou moins aride dans la première partie de Port-Royal réformé et durant la génération de ses grands hommes. C'est à cette ère d'étude, de pénitence, de persécution commençante et subie sans trop de murmure, que je m'attachais. Parmi les solitaires dans la familiarité desquels j'entrai de la sorte plus avant, derrière les illustres, les Arnauld, les Saci, les Nicole et les Pascal, il en est un surtout que je veux vous dire, car vous le connaissez peu, j'imagine, et pourtant, comme Saint-Martin, comme l'abbé Carron, il devint bientôt l'un de mes maîtres invisibles.

Tous ont et se font plus ou moins dans la vie de tels maîtres. Mais s'il est des natures fortes qui osent davantage, qui prennent plus aisément sur elles-mêmes et marchent bientôt seules, regardant de temps en temps en arrière si on les suit, il en est d'autres qui ont particulièrement besoin de guides et de soutiens, qui regardent en avant et de côté pour voir si on les précède, si on leur fait signe, et qui cherchent d'abord autour d'elles leurs pareilles et leurs supérieures. Le type le plus admirable et divin de ces filiales faiblesses est Jean, qui avait besoin pour s'endormir de s'appuyer contre l'épaule et sur la poitrine du Sauveur. Plus tard il devint fort à son tour, et il habita dans Patmos comme au haut d'un Sinaï. - J'étais un peu de ces natures-là, premièrement infirmes, implorantes et dépareillées au milieu d'une sorte de richesse qu'elles ont ; j'avais hâte de m'attacher et de m'appuyer. Ainsi ; dans le monde actif et belliqueux, j'aurais été avec transport l'écuyer de Georges, l'aide de camp de M. de Couaën ; je me serais fondu corps et âme en quelque