Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vers ce qu'on a quitté, pour n'avoir plus à craindre l'amollissement qui se glisse en un dernier regard ? Moi, qui ai la prétention de redresser ici et de fortifier la jeunesse d'un autre, n'ai-je pas à veiller plutôt sur mes cicatrices glacées, à tenir mes deux mains à ma poitrine et à mes entrailles, de peur de quelque violent assaut toujours menaçant ? Sans doute, à Seigneur, le cœur où vous habitez n'a rien de farouche ; il abonde en douceur et en tolérance aimable ; il lui est ordonné d'aimer. Mais ce doit être finalement en vue de vous qu'il aime ; mais, s'il lui arrive de ranimer l'ombre des créatures chéries et de se répandre en mémoire vers le passé, le repentir sérieux doit mêler alors son intercession et ses larmes aux soupirs involontaires que notre faiblesse éternise il a prière doit y jeter sa rosée qui purifie : à ce prix seulement, il est permis au chrétien de se souvenir, et je ne puis rendre justifiable que par là le retour que j'entreprends pour cette fois encore, pour cette dernière fois, à mon Dieu !

Durant la chaleur de cerveau qui, au sortir de ma simple enfance, m'avait tout d'un coup rempli de fumées grossières j'avais pêle-mêle entassé bien des rêves et d'étranges idées sur l'amour m'étaient survenues. En même temps que la crainte d'arriver trop tard m'embrasait en secret d'un désir immédiat et brutal, qui, s'il avait osé se produire, ne se fût guère embarrassé du choix, je me livrais en revanche, dans les intervalles, au raffinement des plans romanesques ; je me proposais des passions subtiles relevées de toutes sortes d'amorces. Mais à aucun moment de cette alternative, le sentiment permis, modeste et pur, ne trouvait de place, et je perdais par degrés l'idée facile d'y rapporter le bonheur. Cet effet se fit cruellement sentir à moi dans la liaison dont je vous parle, mon ami, liaison si propre, ce semble, à contenir un cœur comme le mien élevé dans une pieuse solitude et novice au