Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/365

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fête et non changée. - A mesure que j'avançais vers le château, dont j'apercevais par instants la tour, il me semblait que je revenais toucher à mon point de départ pour clore de plus en plus le cercle de ma première destinée. J'étais troublé, chemin faisant, comme d'une dernière attente ; mais mon trouble ne prévoyait pas tout.

En passant la première barrière et en traversant la cour de la ferme, je fus surpris de trouver un air de mouvement au château et non pas l'abandon morne, l'aspect inhabité que j'espérais : la fenêtre de la chambre que j'avais occupée longtemps, au-dessus de la porte d'entrée, était toute grande ouverte. La seconde barrière aussi passée avec mon cheval, que je menais par la bride, je vis, à travers la porte grillée du jardin, les autres volets pareillement ouverts. Au bruit des pas du cheval sous la voûte, une personne s'avança de la cour intérieure : c'était M. de Couaën ; jugez de notre étonnement, surtout du sien. Bien que séparés depuis des années, le sentiment qui domina dans cet accueil fut la surprise, et sur son front un léger embarras. “ J'étais dans le pays, balbutiai-je tout d'abord comme en me justifiant, j'ai voulu revoir encore une fois ces lieux d'où je vous croyais toujours éloigné ; mais comment vous y trouvé-je, comment êtes-vous ici ? ” “Nous ne sommes en effet arrivés que d'hier soir, me dit-il ; madame de Couaën a eu un si extrême désir de respirer cet air presque natal, cette brise des mers, que j'ai dû céder à ce vœu de malade ; car elle l'est, malade, d'une manière plus inquiétante que jamais, ajouta-t-il. J'ai donc écrit pour une permission à M. D..., et il nous l'a fait expédier sans retard. Elle est très faible et fatiguée de la route, j'irai la disposer à votre présence. ” Et j'admirais par quelle concordance merveilleuse ce désir en elle de revoir Couaën se rattachait au mien, qui était né subit aussi, maladif en moi et irrésistible.