Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/38

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Et mes idées, excitées par l'heure et par leur propre mouvement, se poussaient d'un flot continu et s'étendaient à mille objets. Car rien n'est délicieux dans la jeunesse comme ce torrent de vœux et de regrets aux heures les plus oisives dans lesquelles on introduit de la sorte un simulacre d'action qui en double et en justifie la jouissance. Un moment, l'amour du savoir, cette soif des saintes lettres qui m'avait altéré dès l'enfance, me porta sur la dispersion des cloîtres ; je me supposais ouvrier infatigable durant soixante années dans ces studieux asiles ; je semblais en redemander pour moi l'éternel et mortifié labeur. Puis, me retournant d'un espoir jaloux vers des œuvres plus bruyantes ou plus tendres la palme de poésie tentait mon cœur, enflammait mon front : Je croyais sentir en moi, disais-je, beaucoup de choses qu'on n'avait pas rendues comme cela encore. ” Et à ce vœu nouveau, elle, qui s'était tue à propos de cloître, reprenait plus vivement, assez moqueuse, je crois et sans doute impatiente de me voir à ses côtés tant de lointains désirs : Oh ! vous l'aurez, vous l'aurez.

Et, redescendant de l'idéal à une réflexion plus positive et aux détails de considération mondaine, je voulus voir d'autres obstacles à mon début, à ma figure personnelle, dans mon peu de patrimoine et la ruine presque entière des miens ; mais cette fois, elle n'y put tenir, et sur ce mot de fortune elle laissa échapper d'une manière charmante, comme si le refrain l'emportait : Oh ! bien, nous l'aurons !

Je l'entendis ! la lune brillait, l'arôme des fleurs nous venait de dessus l'enclos ; au même instant la petite de Guémio s'écriait de joie à la vue d'un ver luisant dans un buisson ; toute cette soirée m'est encore présente. Pendant que mademoiselle Amélie caressait plus complaisamment les boucles de cheveux de cette chère petite qui lui servait de contenance et de refuge,